Sembadelle : faites place à la Milice !

À l’occasion des 35èmes Médiévales de Provins, nous avons rencontré Sembadelle, compagnie de spectacle vivant venue présenter La Milice, sa nouvelle création.

« C’est du théâtre de rue, c’est loin de ce qu’on avait appris ! »

Chez Sembadelle, le théâtre est autant un but qu’une démarche sincère. A les écouter, la route pour parvenir à ce nouveau spectacle en déambulation est aussi exaltante que sa première présentation au public. Chez eux, le spectacle est plus que jamais vivant, en mouvement constant, à la recherche de nouvelles choses à tenter, à expérimenter, au service d’un théâtre de rue de belle qualité.

Sembadelle, créé en il y a cinq ans, est né sous l’impulsion de Charlotte Frange. C’est en 2013, au Festival Fous d’Histoire de Pontoise que la compagnie présente son travail pour la première fois. De là découle un prix, et les premiers contrats leur permettant de sillonner les routes. Seule Charlotte connaît alors le milieu des fêtes médiévales. En effet, ses parents y ont un stand de restauration. « J’ai baigné dans ce milieu depuis que je suis petite. Ensuite, j’ai fait des écoles de théâtre, notamment le Cours Florent à Paris. A partir de ce moment là, j’ai décidé de monter un projet de théâtre. J’ai rencontré les comédiens de Sembadelle pendant mes études. Pour monter ce projet, je me suis dit qu’il fallait des gens qui soient motivés pour rentrer dans ce milieu qu’ils ne connaissaient absolument pas ».

 

© Mathieu Blazquez

L’équipe se transforme, au fil des années, jusqu’à l’arrivée de William Chenel pour la nouvelle création présentée ce week-end à Provins. Jérémy Faubet, au sein du projet depuis ses débuts, reconnaît : « Au début, c’était un peu flou. On se lançait dans le médiéval, mais personne ne connaissait, à part Charlotte. Il a fallu qu’elle nous vende un concept qui nous était inconnu. Elle nous a dit que le théâtre dans les fêtes médiévales, c’était une bonne idée, qu’il y avait quelque chose à faire. Et comme on est un peu fou, on a dit ‘Allez !’ ».

A cette époque, tous sortent de leurs études. « On n’était même pas encore intermittent ! », précise Clémence Brodin, avant de souligner « Et puis, c’est du théâtre de rue, c’était très loin de ce qu’on avait appris. Le Cours Florent ne prépare pas au théâtre de rue ».

Armés de leur bagage théâtral, et bourrés d’audace, tous s’élance dans cette aventure. Charlotte reconnait : « C’était très compliqué, je ne savais pas où je mettais les pieds ». Avec les fluctuations de l’équipe, ils se retrouvent à cinq. « Cinq, c’est parfait ! Ca rentre dans une voiture ! » rappelle Anthony La Lumia en souriant.

C’est bien ce mélange de lucidité, racontée sans détours, et cette envie délicieuse de rendre les choses possibles qui caractérisent Sembadelle. Ils sont cinq, lors de cet interview, et à les écouter, rien n’est irréalisable. Les difficultés ne sont que des moments de passage. La compagnie arbore fièrement l’étendard de sa polyvalence, au service de l’excellent théâtre de rue qu’ils défendent.

 

« On a voulu rentrer dans un siècle, dans une case historique ».

A Provins, ils sont venus présenter La Milice, leur toute nouvelle création. Lorsque nous les rencontrons, le dimanche matin, les cinq comédiens affichent la sérénité de ceux qui viennent d’accoucher, sans encombre, du projet qui a occupé leurs mains, leurs mots et leurs esprits tous ces derniers mois.

Pour cette nouvelle création, tout est d’abord parti de la forme, comme nous l’explique Anthony : « On voulait se déplacer différemment. On voit beaucoup de charrettes dans le médiéval. Sur les deux déambulations précédentes, on avait aussi une charrette qu’on modulait avec une maison dessus, pour le thème de la médecine, ou avec une petite chapelle sur Le Cortège des épousailles. On ne voulait pas recycler cette idée, il fallait trouver autre chose. J’avais fait un listening, avec notamment écrit ‘Caisse à savon’. On est resté sur cette idée.  A partir de là, j’ai commencé à faire un prototype, avant même la création du Cortège des épousailles. Je savais que je voulais construire des animaux à partir de vélo, pour que chacun ait un animal ». Clémence nous raconte que c’est aussi le climat actuel qui leur a inspiré l’idée d’une milice. « La situation actuelle nous a fait réfléchir…la sécurité renforcée sur les événements où il y a beaucoup de monde, l’état d’urgence… ».

© Mathieu Blazquez

Dans les rues, les cinq comédiens défilent sur des animaux roulants dans des costumes à l’esthétique soignée. « Ca a été un gros débat de savoir si on prenait cinq miliciens qui venaient de cinq continents différents ou si on restait tous en France avec des spécificités physiques. Cela faisait écho à notre précédent spectacle, le Cortège des Epousailles, on s’est dit que ce serait trop similaire, on préférait partir sur autre chose ». Comme à son habitude, loin de rester dans sa zone de confort, Sembadelle remet les cartes en jeu. A ce qu’ils savent faire, les cinq comédiens préfèrent le risque, l’incertitude, le plaisir de laisser leur créativité leur offrir de nouveaux tours, de pousser toujours plus loin leur potentiel. Dans leur travail, la recherche de la cohérence et du détail est évidente, tant dans la forme que dans le propos qu’ils mettent en scène. « Avec ces cinq miliciens qui viennent de continents différents, on voulait essayer de rester ‘historique’. On n’est pas puriste, mais il nous fallait trouver un siècle où on pouvait faire naître une rencontre avec une Amérindienne, justifier que la Viking soit partie vers l’Amérique du Nord, que le Berbère avec la Route de la Soie, ait pu rencontrer le Chinois. On a voulu rentrer dans un siècle, dans une case historique » nous raconte Charlotte.

« Si vous faites ça, je vous mets en tête de cortège ! »

Lorsqu’on les croise dans les ruelles de Provins, faisant s’écarter la foule, l’étonnant naturel avec lequel chacun interprète son personnage, laisse présager un spectacle déjà bien rodé. Et pourtant, ils n’en étaient qu’à leur première ! Le milicien berbère, sur son dromadaire, interpelle les passants le temps d’une fouille rapide. La terrible milicienne viking, arborant des cornes démesurées, fait pleuvoir les contraventions, tandis que le poney du franc s’élance déjà. « On s’est fait une biographie par personnage. On s’est exactement d’où on vient, comment on s’appelle, le background de chacun » souligne Jérémy, avant que Charlotte complète : « On a tous notre histoire : où on est né, nos parents, nos frères et sœurs, comment on s’est rencontré, comment on a rencontré Hubert, le Franc, pourquoi il nous a rassemblé et ce qui justifie nos scénettes après ».

Dans le climat actuel, jouer dans la rue une telle pièce semble être un pari osé, comme nous le confirme Anthony. « Il y avait cette volonté de prise de risque. On en a beaucoup parlé avec les gens qui sont susceptibles de nous engager, pour savoir s’ils seraient capables d’acheter ce spectacle. Ils ont trouvé ça bien, nous ont dit qu’il fallait rigoler de cette situation là. Hier, c’était notre première, et c’était incroyable : même la police rigole de ce spectacle ! On avait peur de leurs réactions. Ils adorent ! ». « Ils disent ‘Salut collègue’ » ajoute Clémence en souriant. Il y a un an, Anthony en avait longuement parlé à Willy Vanhonnacker, directeur artistique et programmateur des Médiévales de Provins. Non sans fierté, Anthony nous raconte la réaction du programmateur : « Il a dit ‘Si vous faites ça, je vous mets en tête de cortège !’ ». Parole tenue : lors du défilé, dimanche après-midi, Sembadelle ouvrait le bal. « On escorte la police ! » rajoute Anthony. « On a même une vraie mission de sécurité, on doit faire se lever les gens avant l’arrivée des autres compagnies. C’est accidentogène, les gens assis ! » rapporte William. « Quand on nous embauche en nous demandant ça, c’est que le spectacle fonctionne. La prochaine date avec ce spectacle c’est à Dinan, au mois de juillet. On verra si on obtient le même effet ! ».

 

© Mathieu Blazquez

« On a vraiment pu compter sur le reste de l’équipe »

Si le prototype des véhicules a été réalisé avant leur précédente création, c’est finalement il y a un an et demi que le propos de la déambulation a été actée. S’en est suivi une importante phase de travail de construction, de confection des costumes, d’écriture du texte. Charlotte l’explique : « Pour Anthony, qui s’est occupé de la construction, il a vraiment fallu l’équivalent de soixante jours de travail, répartis sur plusieurs mois, pour faire toutes les bêtes. Pour les costumes, j’ai commencé fin janvier, pendant trois mois non-stop ». En parallèle, ils ont trouvé de solides appuis. « C’est Delphine Decloedt qui a peint les bêtes. Elle a passé environ deux jours sur chaque bête » raconte Anthony, secondé par William, « C’est plus de quinze heures de travail pour chaque bête, plus de deux heures pour faire un œil… ». Le père de Clémence, Vincent Brodin, sculpteur et plasticien, a confectionné les cornes du caribou et du bélier. Caroline, de L’enfer du décor, a aiguillé Charlotte dans la création des postiches. Les parents de cette dernière, depuis les débuts, continuent d’apporter leur soutien. Anthony le rappelle : « On a vraiment pu compter sur le reste de l’équipe. Sur le dernier mois, on était tous les cinq, enfermés, à travailler tous ensemble… ». Et enfin, il y a les soutiens institutionnels, comme le raconte Charlotte : « On a l’énorme chance de pouvoir travailler dans les locaux que nous prête gratuitement Dourdan [où la compagnie est domiciliée]. C’est un confort de travail merveilleux. On a eu le droit à deux semaines de résidence au centre culturel de Dourdan qui nous a permis de monter la Milice, de faire des répétitions, de bâtir les personnages, faire de la construction. On avait créé un grand atelier bricolage. La dernière résidence que l’on a faite en mai, c’était un travail non stop. C’est un luxe de pouvoir avoir ce lieu. Le plus gros problème des compagnies pour la fabrication d’un spectacle, c’est de ne pas avoir de lieu pour répéter ».

 

« Je les incite à proposer des choses, qu’ils s’amusent ».

Puis enfin est venue l’écriture. « Le texte a été écrit collectivement. On écrit ensemble, puis je gère plus ou moins la mise en scène » raconte Anthony. « Quand on est en prestation, c’est souvent à Anthony qu’on doit les retours de mise en scène. Il drive ces choses-là et recadre au fur et à mesure des dates. On fait toujours un point avant et après chaque spectacle » précise Charlotte. Anthony le rappelle, les comédiens ne sont pas des robots que l’on dirige : « J’aime beaucoup travailler comme ça. J’aime faire de la mise en scène mais je n’aime pas tout contrôler. Je les incite à proposer des choses, qu’ils s’amusent. Dans le texte de la Milice, chacun a écrit son propre texte. Ensuite, on en discute ensemble ». Pour cette nouvelle création, Jérémy nous raconte qu’un nouveau challenge s’est imposé : « La nouveauté pour nous, en tant que comédien, c’était de trouver un accent. Comme nous sommes des miliciens du monde entier, il a fallu travailler les accents de chacun ».

Si Sembadelle propose habituellement des thématiques déclinées en spectacle fixe et en déambulation, il faudra probablement attendre un peu avant de voir le thème de la police et de la sécurité monter sur des tréteaux. Les cinq comédiens se laissent le temps de faire vivre leurs cinq spectacles.

Sembadelle est de ces compagnies qui rendent le théâtre de rue délicieux, inattendu et fascinant. D’une création à l’autre, la troupe de comédiens explorent les milles et unes pistes qui s’offrent à eux, quitte à en créer de nouvelles pour défendre leur art, sans jamais se contenter de la facilité. A les écouter, on comprend sans peine qu’entre ces cinq artistes règne, outre une complicité évidente, une volonté solide  d’amener le théatre dans la rue, de lui rendre ses lettres de noblesse. Sembadelle incarne avec humilité ce théâtre populaire qui derrière la comédie révèle une intelligence remarquable.

© Mathieu Blazquez

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