Parmi les nombreuses compagnies programmées lors des Médiévales de Provins, nous sommes allés à la rencontre de Tan Elleil, une compagnie née il y a une dizaine d’années, ayant fait des déambulations sa spécialité.
Aela nous raconte l’origine de la compagnie. « Je faisais du médiéval dans des associations de reconstitution. L’aspect fantastique m’intéressait davantage pour avoir plus de liberté dans les costumes plutôt que d’être vraiment obligée de suivre ce que l’on trouve sur les enluminures, qui nous passionnaient moins. J’aimais aussi le côté artisanal pour créer des costumes, des accessoires, des marionnettes. Tout ce que l’on trouve dans la compagnie, c’est nous qui le faisons. Parfois, on reçoit des petites aides extérieures, mais globalement, à 90%, tout est fait par la compagnie ». Avec un parcours différent, Claire a rejoint la compagnie avec un but similaire. « Je viens du théâtre classique et de la danse. J’ai rejoint la compagnie parce que c’est un univers qui me parlait complètement. J’étais aussi très intéressée par le travail artisanal et manuel ».
C’est bien l’une des particularités du travail de Tan Elleil. Dans cette compagnie, chacun est tout autant artiste qu’artisan. Tout au long de l’année, leur activité se partage entre ces travaux manuels, au service de leurs créations, et les représentations. « 60% du temps, on est en atelier à créer des choses, à retravailler les costumes, à les réparer, et 40% du temps en représentation. Après, on ne compte pas toute la partie logistique. On passe beaucoup plus de temps en atelier à préparer un spectacle qu’à le jouer ! Mais bien évidemment, un spectacle, ça dure des années ».
Tan Elleil compte plusieurs spectacles en déambulation. Aela nous raconte l’histoire des différentes créations. « Pour la toute première déambulation, je voulais un personnage qui incarne le dieu Cernunnos. On est parti de ce personnage et la déambulation s’est créée puis recréée au fil des années. Elle a dix ans, donc selon les gens qui sont dans la compagnie, elle prend une teinte un peu différente. La seconde s’appelle Beltaine. Au début, il n’y avait que des échassiers, mais c’était surtout pour être intégré dans des concerts ou entre des concerts dans une salle en particulier. Pour la déambulation blanche, c’est une création pour les Pierrots de la Nuit à Paris, que l’on a intégré quelques années. En ayant ces costumes un peu victoriens et féériques, on s’est dit que c’était dommage de les laisser, donc avec les musiciens, on a établi une déambulation complète pour avoir quelque chose de féérique à proposer, plutôt pour les périodes de Noël. La déambulation Contes du Bois d’En Haut est vraiment ancrée dans les racines bretonnes. On s’est plongé dans un coin de Bretagne que j’aime particulièrement ».
Chez Tan Elleil, les déambulations entremêlent la musique, souvent les échasses, soutenues par des créations visuelles à l’esthétique sublime. Ce mélange des arts était une volonté affirmée, dès la création de la compagnie, comme nous l’explique Aela. « La pluridisciplinarité était présente dès le début. On a ajouté la musique par la suite, c’est vraiment quelque chose que je voulais dès le début mais je n’avais pas forcément les bons musiciens. Alors, on faisait tous des petites choses, mais on n’avait pas vraiment le bon niveau pour que ce soit intéressant. La compagnie a grandi et nous avons rencontré des musiciens et musiciennes. Comme dans toutes les compagnies, l’équipe a changé, a évolué selon les emplois et choix de vie de chacun. Pour nous, le but est d’avoir toujours deux personnes visuelles, à échasse, en danse, en marionnettes, et deux ou trois personnes pour la partie musicale ».
Dans cette compagnie, les influences celtiques sont au cœur de sa démarche artistique. « C’est vraiment un univers qui nous inspire, qui nous a toujours parlé, auquel on est très attaché, puisque ce sont aussi nos racines. Musicalement, ça nous inspire par rapport à l’univers, à l’ambiance que l’on recherche » explique Claire. Aela poursuit : « Pour les histoires et les légendes, on reste beaucoup dans le celtique. Le cerf blanc, que l’on retrouve dans Awen, la déambulation que l’on joue à Provins, revient beaucoup dans les légendes celtiques mais on n’est pas parti sur celles-ci. On est parti de quelque chose qu’on a plus ou moins inventé. Awen veut dire ‘inspiration poétique’ en breton. On a imaginé une bulle de poésie qui arrivait, qui était guidée par une muse. Comme si elle guidait l’inspiration parmi les gens… Ce n’est donc pas du tout celtique au niveau de l’histoire, mais on va toujours piocher dans ce milieu soit pour les noms, soit pour la musique ou sur l’univers général… ».
A Provins, Tan Elleil a déambulé dans les ruelles de la ville aux couleurs d’Awen, l’un de leurs spectacles. Accompagné de deux musiciennes, un grand cerf blanc, fin et élégant, processionne sur une musique douce et éthérée. Aela nous raconte l’origine de cette déambulation. « Awen est né parce que j’avais très envie de faire une grande marionnette. Je ne sais pas pourquoi, j’avais l’idée d’un cerf blanc. J’ai toujours beaucoup aimé l’image du cerf, c’est d’ailleurs une récurrente dans la compagnie ! On a une autre déambulation avec un dieu dont l’image est très proche du cerf. Sur le spectacle de feu, on a aussi une grande structure qui en représente un. De toute manière, pour faire une marionnette à quatre pattes, il fallait forcément un quadrupède. Les oiseaux, ce n’était pas possible, le loup était trop commun. Au niveau proportion, je trouve que le cerf collait plutôt bien. A la base, c’est déjà assez grand. Ce n’est pas ridicule comme faire un grand chat de deux mètres de haut, qui serait moins pertinent. Le cerf était donc une bonne créature à travailler ! C’est un animal qui autant merveilleux que réel. Ensuite, on a voulu travailler sur le côté préraphaélite. C’est un visuel qui nous plait vraiment…Avoir des costumes plus travaillés, peut-être un peu moins bruts que ceux que l’on a sur d’autres déambulations, avoir des choses plus fines, des entrelacs, de la bijouterie. C’était quelque chose qui collait bien avec le travail du bois sur la marionnette. On voulait quelque chose de plus fin et de plus délicat, dans les costumes, dans la musique, dans le cerf…».
Comme elles nous l’expliquaient précédemment, pour Tan Elleil, le travail de création s’étale sur une année rythmée où s’entremêlent les périodes de travail en atelier et les temps de représentations, principalement durant l’été. Pour faire naître Awen, il leur a fallu trois ans, comme le raconte Aela : « Une année comprend toujours toute la saison estivale, où on peut être un peu à l’atelier, mais où globalement, comme on est quatre ou cinq jours par semaine sur les routes, on y passe peu de temps ! Parfois, on a des pauses d’une ou deux semaines, qui nous laissent du temps pour travailler ». Elles ont commencé par réaliser des dessins de la structure, avant de réaliser de vrais croquis grandeur nature. « Pour le cerf, on m’a obligé à faire une maquette, alors j’ai fait une maquette ! » raconte Aela, avant de poursuivre : « La réalisation a duré deux bonnes années, entrecoupées des prestations qui prennent une bonne partie de la semaine entre avril et octobre. C’était la première fois que je travaillais du bois. Découvrir des matières, c’est quelque chose qui me plait beaucoup aussi ». Ensuite est venue la phase d’essais, afin de parvenir à mettre le cerf en mouvement. « Il faut réussir à le porter, à le mettre en mouvement. Savoir comment marcher, comment ça se tient, comment on peut le modifier pour que ce soit moins désagréable ». Claire ajoute : « C’est un vraiment travail pour prendre la démarche de l’animal, que ça rende bien visuellement. Le but est que ce soit le plus réaliste possible malgré les contraintes du bois, de la structure, du poids, de la manipulation ».
Musicalement, Tan Elleil diffère des autres compagnies que l’on trouve habituellement dans le milieu médiéval, où les cornemuses et autres grosses percussions se répercutent sur les murs de la ville. Un choix affirmé par ces artistes… « Quand je commençais à dessiner le cerf, je voulais aller vers un univers très éthéré, un peu à la Loreena McKennitt. On avait aussi la volonté de faire quelque chose de différent. Je n’avais pas envie de refaire un mélange cornemuse-tambour, comme on trouve beaucoup. Quoique, aujourd’hui, ça se diversifie davantage. A un moment, c’était très fréquent. Alors, quand on a commencé, je me suis dit que je ne voulais pas aller dans cette direction là. Je voulais des instruments plus doux. Au début, on avait un bouzouki et une percussion. Au fil des musiciens qui ont travaillé avec nous, là, on est arrivé sur une harpe et une vielle à roue, et c’est vraiment parfait. On a le côté rythmique et bien péchu de la vielle à roue, et celui aéré et plus doux de la harpe. Parfois, on fait des choses un peu plus énergiques, mais pour cette déambulation, il fallait vraiment quelque chose de très doux et de très planant ».
Dans les rues, en déambulation, Awen est un nuage qui sillonne les rues, une bulle, comme l’explique Aela. « Dans la déambulation avec le cerf, on est vraiment dans une bulle. Ce n’est pas la déambulation la plus interactive que l’on ait. C’est vraiment une bulle de douceur et de silence qui avance. Sur d’autres spectacles, on va davantage vers les gens, on joue plus avec eux, parce que c’est plus dansant, plus coloré, même si ça reste toujours le même genre de répertoire, mais en version plus dynamique. Donc on a moins d’interaction mais c’est vraiment voulu. C’est une bulle de spectacle qui coupe les gens de ce qu’ils sont en train de faire ».
Quand on les interroge sur les projets à venir de la compagnie, Aela et Claire fourmillent d’idées et d’envies. Elles nous en livrent quelques uns : « On a déjà des idées pour de nouvelles déambulations. Il va falloir qu’on mette ça en route. En septembre, on pense enregistrer quelque chose qui regroupe les morceaux phares de nos déambulations pour avoir un petit album avec les musiques de nos spectacles ». Encore un peu de patience…bientôt, Tan Elleil transportera jusque chez vous le son doux et envoûtant de leurs déambulations !