À Bayeux, lors des 32èmes Médiévales, la compagnie Les Monts Rieurs était invitée pour présenter sa nouvelle déambulation, Celva Tereï. Florinda Garcia, co-fondatrice de la compagnie, nous a raconté, en amont, l’histoire des Monts Rieurs, avant qu’Anouk Sébert, échassière, chanteuse et musicienne dans cette nouvelle déambulation, nous en apprenne davantage sur cette création présentée à Bayeux.
L’histoire des Monts Rieurs trouve son ancrage au cœur du village de Méounes-lès-Montrieux dans le Var, dans lequel ils ouvrent, en 1997, un centre socio-culturel, une maison des jeunes. « Nous faisions du jeu de rôles grandeur nature, nous avions des personnages forts, nous cherchions un moyen d’auto- financer nos actions en faveur de la jeunesse. Notre action était éducative. Nous avons donc monté notre compagnie, avec les adultes encadrants, et les jeunes dans un premier temps ». S’appuyant sur les compétences de chacun, la compagnie s’ouvre dès le début à la pluridisciplinarité. « Dans l’équipe encadrante, nous avions des parcours différents : théâtre, danse, cabaret, chant, musique… Ces domaines faisaient partie de nos vies depuis toujours. La création de la compagnie était alors une évidence, et surtout un support pédagogique fort pour les jeunes adolescents qui se cherchaient. Jusqu’en 2014, la compagnie était composée d’animateurs spécialisés, de jeunes et de professionnels intermittents du spectacle. Lorsque nous avons fermé la maison des jeunes, nous avons décidé de nous professionnaliser dans le spectacle, et de ne plus faire intervenir de jeunes au sein de la compagnie. C’est un choix éclairé après dix-sept ans d’encadrement…. ».
En navigant sur le site des Monts Rieurs, on devine assez rapidement que cette compagnie ne tient pas en place. « Créateurs d’univers », indiquent-ils. Le bestiaire tiré du monde sylvestre côtoie l’univers marin, le théâtre s’allie à la musique, les créations alternent le fixe et la déambulation… Cette diversité de propositions est également ancrée dans le parcours de la compagnie, comme le raconte Florinda : « Au départ, nous ne faisions que des déambulations, improvisations. On avait vingt ans ! Ensuite, on a eu envie de proposer des choses construites, on avait des choses à dire, à rêver, à partager….On avait envie de proposer du spectacle, plus que de l’animation… ».
Les anciens spectacles sont très souvent renouvelés, repensés jusqu’à connaître une seconde vie. Ainsi, on découvre par exemple que leur spectacle Vilains, vilaines, alliant théâtre et musique, s’est créé en 1998, mais a connu une seconde version en 2015 et 2016. « Les “anciens” spectacles sont toujours demandés, et ils évoluent en même temps que nous. Nous avons toujours de nouvelles choses à partager, nous avons grandi, et nos personnages aussi ! Et lorsque cela n’est plus le cas, on arrête tel ou tel spectacle et on repart sur une création. Il est important de se renouveler, de se mettre en danger, de mettre en œuvre une nouvelle pratique que l’on vient d’acquérir, de grandir. Si on ne se renouvelait pas, on s’ennuierait et on ennuierait notre public non ? ».
Celva Tereï, leur nouvelle déambulation, s’inscrit dans cette lignée. « Nous souhaitions renouveler notre déambulation d’échassiers, proposer autre chose, trouver l’astuce » explique Florinda, avant qu’Anouk précise : « Les Monts Rieurs avaient déjà fait une première création en 2005 qui s’appelait les Yonirêves, dans laquelle ils avaient commencé la création des costumes. C’était une équipe jeune, une expérimentation. Ils l’ont tourné quelques fois, puis elle s’est arrêtée, parce que comme c’était de jeunes artistes, ils sont partis dans tous les horizons. Je chante dans un trio de polyphonies vocales, le trio Tsatsali, qui est venu jouer au Moulin à Paroles à Méounes. Simona Boni, l’une des chanteuses, et moi avons beaucoup sympathisé avec les Monts Rieurs. Cela leur a donné envie de relancer ce projet. Cela a inspiré Ludovic Hours, qui a eu envie de le réécrire avec des chants. On a fait une première résidence en août 2017. On a alors commencé à choisir les chants, écrire le scénario. L’équipe est assez variable, puisqu’il y a aussi des remplaçants. Malgré tout, il y a une équipe de base, avec les trois musiciens, Jérémy Ollivier, Simona Boni et moi. Nous sommes le noyau de cette déambulation ». Florinda en convient, cette rencontre était une évidence : « Deux chanteuses de talents pour créer une déambulation hors normes, avec une nouvelle équipe. Cela donne un nouveau souffle, de nouvelles perspectives ».
Au début de leur histoire, Les Monts Rieurs créent leurs spectacles selon les compétences de chaque membre de la compagnie. « Au départ, c’est parti des compétences dans l’équipe, et depuis quatre ans, nous avons décidé d’écrire d’abord la trame et de chercher les compétences adaptées. Mais nous avons tout de même un “noyau dur” au sein de l’équipe, nous nous appuyons forcément sur leurs compétences » explique Florinda.
Dans les spectacles des Monts Rieurs, la musique est constamment présente. Florinda nous précise comment se constitue le répertoire de chaque spectacle : « Le répertoire musical est crée dans les deux sens : soit nous avons une scène, une chorégraphie, un numéro de jongle et alors la musique est écrite spécifiquement pour cela et adapté parfaitement à la demande de l’artiste. Ou alors, le musicien écrit, propose, et ensemble on se dit “tiens, ça collerait bien à cet univers, cet instant là…..” En termes d’univers, nous avons discuté ensemble de chacun d’entre eux, et de la couleur souhaitée ».
A son tour, Anouk nous explique la manière dont se sont déroulées les choses pour Celva Tereï : « Simona et moi avons choisi le répertoire. On a opté pour quelques percussions. Comme nous sommes sur échasses, il nous faut des instruments assez légers, comme les tambours sur cadre. Pour le chant, ce sont des chants italiens pour beaucoup. On improvise fréquemment pendant la parade ».
Anouk nous raconte l’origine de Celva Tereï : « Son titre est Celva Tereï. En langue elfique, celva veut dire animal mobile, et tereï, la forêt. On a voulu faire partir le spectacle dans un univers magique et un bestiaire fantastique. C’est un mélange tribal, fantastique et doux. C’est aussi pour cette raison que l’on a choisi de beaucoup utiliser le chant, qui enveloppe beaucoup ».
« Le scénario se décompose en trois parties. Il y a une biche, un cerf et un faune. Il y a également un loup et la gardienne de la forêt. Lors du premier passage, le troupeau et la gardienne du bestiaire sont dans leur élément, ils découvrent l’univers qui les entoure, mais ils sont traqués par le loup. La gardienne défend alors le troupeau contre le loup. Ensuite, le troupeau prend son courage à deux mains, avec l’aide de la gardienne, pour à son tour traquer le loup et le mettre en embuscade. A ce moment, nous avons un passage fixe, avec un chant durant lequel la gardienne démasque le loup, pour dévoiler que derrière, se cache un être bon qui a simplement reçu un sort. La troisième partie du scénario, c’est le retour à l’harmonie, où le loup s’est transformé en chien de troupeau. Celui-ci va alors choisir un élu, dans le public, qui va recevoir une amulette sacrée par laquelle le troupeau reconnaît qu’il fait parti de leur monde ».
Visuellement, à l’instar des autres créations des Monts Rieurs, la déambulation fonctionne bien. Leurs figures animales montées sur échasses apparaissent de loin, attirent l’œil. Les costumes, faits par les Monts Rieurs eux-mêmes, et maquillages respectent bien l’univers sylvestre que la compagnie souhaite défendre. Seul bémol : à Bayeux, la déambulation a parfois pâti de l’absence de sonorisation. Anouk le confirme : « C’est prévu que ce soit sonorisé pour que les voix prennent plus de présence. On doit pousser beaucoup plus, le chant perd en finesse ». En effet, dans les rues de Bayeux, c’est d’abord l’aspect visuel qui interpellait. Si le spectateur n’était pas à proximité immédiate des artistes, il était bien difficile d’entrer dans l’univers musical de Celva Tereï. Malgré tout, le parti pris musical en lui-même est intéressant. En rue, là où il faut capter l’attention du spectateur, opter pour des instruments légers, de petites percussions, et pour le chant est un choix singulier. À les observer déambuler dans les rues, on aurait également aimé que le caractère bestial des animaux qu’ils incarnent soit un peu plus prononcé, afin que l’aspect théâtral soit davantage développé, au-delà de la musique et de l’esthétique.
L’esthétique, c’est bien ce qui caractérise les Monts Rieurs. Chacun de leur spectacle fait le choix d’une identité visuelle forte, facilement reconnaissable. « Je pense que là est notre force ! Aller au bout visuellement, être reconnaissables quel que soit notre spectacle. Je l’ai appris, entre autre, de mon père, décorateur, et de Thierry Darley, scénographe, avec qui nous avons travaillé plus de dix ans. Avoir une cohérence visuelle forte, être reconnaissable, nous aide également dans la construction de nos différents personnages ». De toutes leurs créations, c’est peut-être l’esthétique des Tanarücks qui marquent le plus les esprits, avec une profusion de couleurs vives dans les maquillages. « Les Tanarücks sont nés en jeux de rôles grandeur nature, ils avaient des pieds de bouc, de petites cornes, des oreilles d’elfes, des entrelacs sur le visage….mais, de loin, ‘pour du spectacle’, ce n’était pas assez. Ludovic Hours a testé des maquillages pleins et dégradés, avec ce fameux triangle blanc en référence au Théâtre No…….Nous avons fait plusieurs essais colorés, et avons choisi une gamme de coloris, et deux signes distinctifs communs à tous : le jaune sur le bas du visage et le triangle blanc. C’était en 2001 ! ».
Pour Les Monts Rieurs, l’année 2018 se place donc, entre autres, sous le signe de Celva Tereï. Si Anouk a intégré la compagnie pour cette création, elle reconnaît que le milieu des fêtes médiévales lui plait beaucoup. « J’aime beaucoup l’ambiance des fêtes médiévales, c’est comme une parenthèse dans le temps. Il y a beaucoup de personnages intéressants qui se rassemblent, avec des savoir faire et des parcours très différents. J’aime l’ambiance que cela crée dans une ville. La rue, je la prends vraiment comme un exercice d’improvisation et de présence parce qu’il faut vraiment être à 300%. 100% ne suffit pas. Il nous faut vraiment dépasser nos limites énergétiques ». Souhaitons à ces animaux mobiles de souvent quitter leur milieu sylvestre pour venir à la rencontre du public !