A chaque édition des Médiévales de Bayeux, outre la programmation de spectacles fixes, les déambulations théâtrales et musicales naviguent au fil des rues à la rencontre du public. Parmi celles-ci, lors de la 32ème édition, la compagnie Via Cane a retenu l’attention du public avec ses Fêtes païennes. Metteur en scène au sein de la compagnie, Jean-Frédéric Noa a répondu aux questions du Spot pour dessiner les contours de l’univers de Via Cane.
C’est en 1995 que naît la compagnie Via Cane, alors implantée à Marseille. « C’était un collectif qui rassemblait auteurs, metteurs en scène, musiciens, comédiens et plasticiens. L’objectif était de produire des créations qui mélangeaient toutes ces disciplines artistiques autour des marionnettes, du jeu d’ombres ou encore de la projection d’images. Depuis onze ans, la compagnie est installée dans les Côtes d’Armor. Via Cane s’est diversifiée. Il y a une structure artistique, avec une identité différente, qui émane d’elle, qui s’intitule Pagan Spectacles. La création que l’on présente à Bayeux en est le premier spectacle ».
Dans les ruelles de Bayeux, quatre figures étranges déambulent : une vieille femme, entourée de deux échassiers à bec d’oiseau et d’un curieux animal à tête de dragon. Visuellement, ces créatures interrogent et questionnent le spectateur. Au fil des rues, les deux échassiers agitent leurs crécelles, dans un singulier tintamarre. En convoquant un imaginaire fort, soutenu par un visuel puissant, Via Cane marque les esprits.

« Les Fêtes païennes est un spectacle déambulatoire qui s’inspire des fêtes traditionnelles européennes et des carnavals que l’on trouvait, et que l’on trouve encore parfois, en Europe de l’Est avec des personnages mi-hommes, mi-animaux. On trouvait important de développer ce thème sur les fêtes médiévales. Cela permet de réinterroger le spectateur dans ce qu’il vit aujourd’hui. Ces fêtes païennes étaient plutôt transgressives. Elles sont toujours autour des pulsions de vie et de mort. Nous, on est resté plus tranquille. On a articulé le spectacle autour d’un personnage central, la vieille, qui est complètement investie de ce qu’elle est, complètement libérée. Elle va dire leurs quatre vérités aux gens, les enjoindre à la fête et à vivre le moment présent. Autour d’elle, on trouve des gardiens, mi-ciel, mi-Terre, les kurenti, inspirés de personnages d’Europe de l’Est, qui sont en un peu différents dans le visuel. Là, nous avons fait des femmes oiseaux sur échasses. Les gardiens alpaguent les spectateurs avec les crécelles, comme cela se faisait dans les temps anciens. Les crécelles vont électriser et réveiller les gens ».
Si Via Cane présente les Fêtes païennes dans des fêtes médiévales, ses créations disposent d’un horizon bien plus vaste alliant la rue, la scène, le fixe et nouvellement la déambulation. Le point de convergence de ces différents domaines se tient au cœur de la réflexion de la compagnie : « On tourne toujours autour de la thématique de l’humain. On interroge l’humanité, dans tous les sens, que ce soit sur des spectacles à ton humoristique, poétique ou plus réflexif. Il y a une base d’inspiration lié à l’inconscient collectif, aux contes et aux légendes. On est entré dans le milieu médiéval avec un spectacle qui s’appelle La Quête du chevalier sans épée. Quand on s’intéresse aux contes et aux légendes, on a une grosse base d’origine médiévale. C’est un univers qui nous a toujours plu ».
Les Fêtes Païennes sont la première déambulation sur laquelle travaille la compagnie. « On est plutôt dans des spectacles à textes. Dans la déambulation, il y en a un peu, puisqu’il y a des arrêts avec des passages théâtraux. On varie, on ne fait pas cela tout le temps, ça dépend du parcours. C’est la première fois que l’on propose ça, avec un travail de masque et de costume important. On rejoint le côté visuel et plastique que l’on développe depuis le début. Les masques et les costumes sont faits par la compagnie, avec les apports de personnes différentes ». Pour la création de ces masques et costumes, la compagnie s’est basée sur des sources écrites et iconographiques, avant de s’en écarter pour créer leurs propres créatures. « Pour la vieille, on s’est inspiré de différents types de visages, en s’inspirant de masques orientaux. Pour les kurenti, on s’est écarté du modèle initial qui était constitué de beaucoup de paille. On est parti sur un travail de masque, à base de résine, sur un travail polychrome qui donne un effet bois, assez archaïque et populaire. La Grand’Goule est beaucoup plus franco-française. C’est une marionnette habitée ».
Dans les rues de la ville, la vieille alpague le public, vient habilement titiller celui ou celle qui essayait d’éviter son chemin. Les gardiens sur échasses jouent de leurs crécelles tandis que la Grand’Goule nous observe de ces yeux quelque peu effrayants. Via Cane explore savamment les interactions possibles avec le public. « Finalement, en théâtre de rue, il y a toujours une rencontre avec le public, il faut aller chercher les gens. En salle, évidemment, ça change tout. La déambulation est plus physique. On s’adresse vraiment au sens premier du spectateur, qui plus est celui du XXIème siècle : la vue. Le plus souvent, cela passe par l’intermédiaire d’un écran. On essaye de passer au-delà, c’est pour cela qu’il y a du texte, pour les bousculer un peu, qu’ils lâchent les appareils photos ».
En parallèle de ses créations, la compagnie Via Cane développe également le projet Marionnettes en Europe, que Jean-Frédéric nous raconte : « Cela date de 2009. Marionnettes en Europe nous amène à partir tous les deux ans dans un pays européen. On est parti en Pologne, en Belgique, en Allemagne, en Angleterre, au Portugal. On va faire un reportage adressé à tous les amoureux de l’Europe, à tous les curieux, dans lequel on dessine le visage du pays via la marionnette. Il y a toujours un échange qui se fait, soit on vient jouer un spectacle, soit on en crée un. Cela a été le cas en Angleterre, où nous avons créé un spectacle en coproduction avec Indigo Moon, une compagnie du Yorkshire. On a fait une tournée en novembre dernier, dans sept villes, jusqu’à Londres, avec Shakespeare versus Molière. C’est un projet pour lequel on est soutenu par le département des Côtes d’Armor, la Région Bretagne, nos communautés de communes. Cela nous permet, en toute liberté, de participer à cette cohésion européenne par le biais culturel. Elle est moins évidente socialement et politiquement, mais on est là pour ça aussi ! ».
Chez Via Cane, le texte est toujours le chemin de fer, la trame autour de laquelle s’articule la création. « J’amène les projets au niveau de l’écriture et de la mise en scène. A partir de là, il y a des personnes régulières dans la compagnie, comme Yoann, à la technique, puis des plasticiens, des musiciens. C’est une vraie collaboration interdisciplinaire ».

Via Cane défend, par le biais d’un art pluridisciplinaire, des créations hybrides aux allures de nouveaux terrains de jeu à explorer. « C’est vraiment ce qui m’intéressait dans le fait de faire du théâtre : l’aventure humaine. On est tous sur un même bateau, et on part tous sur les mers à la découverte de nouvelles terres. C’est ce qu’on fait en tournée, ce qui est enthousiasmant. A Dinan, à la Fête des Remparts, on va d’ailleurs présenter une nouvelle création. Ce sera la reproduction d’un bateau, à l’intérieur duquel on invite les spectateurs à rentrer, et en immersion, ils vont suivre la traversée d’une goélette qui va sombrer sous les eaux, se faire avaler par une baleine. Il y aura un film d’animation et des comédiens, comme une attraction spectacle ».
Si Via Cane joue également dans d’autres réseaux, la compagnie explore de plus en plus les fêtes médiévales avec ses différentes créations. Jean-Frédéric Noa, pour conclure, nous livre son regard sur ce milieu, en pleine évolution : « Le milieu médiéval s’ouvre de plus en plus. Il y a davantage de compagnies qui jouent également dans d’autres réseaux. Les grandes fêtes médiévales changent de visages. Bayeux, Dinan, Le Puy-en-Velay…elles deviennent des festivals. Beaucoup de gens, qui ne connaissaient pas le médiéval, commencent à s’y intéresser parce que c’est un vrai champ d’investigation artistique et cela draine un public fou ! Ce que l’on cherche dans les arts de rue, c’est la rencontre avec le public, alors qu’importe le flacon. Dans ces fêtes, il y a quelque chose de réellement festif et libre, comme on peut le voir dans le théâtre de rue. Et cela fait vraiment du bien ! ».
A Bayeux, les artistes de Via Cane ont fait forte impression auprès du public en paradant tout le week-end dans les rues. Par l’indéniable qualité de ses costumes et de ses masques, et le puissant imaginaire qu’elle convoque, cette déambulation autour des fêtes païennes a été l’une des découvertes marquantes de ces 32èmes Médiévales !