Chez Belli Mercator, le théâtre ne connait pas la demi-mesure ! Sur leur scène installée Place de Gaulle, le trio de comédiens a illuminé les 32èmes Médiévales de Bayeux. Belli Mercator est venu y présenter La Brigade du temps, un spectacle où mille ans d’Histoire se déroulent sous nos yeux, en quatre épisodes. Céline, Vincent et Brice, ces trois joyeux comédiens, nous racontent…
A l’origine de Belli Mercator se trouvent Céline, Vincent et Aurélien. Vincent nous explique la manière dont s’est créée la compagnie : « Céline et moi, on travaillait déjà dans une compagnie médiévale, Medio Evo, depuis une dizaine d’années. On a quitté cette compagnie pour monter notre propre spectacle. On a travaillé avec Aurélien Zolli, qui est membre fondateur du collectif toulousain Culture en Mouvements, dont nous faisons parti. Culture en Mouvements ne fait pas que du médiéval, mais aussi du cirque, des spectacles sur mesure, spectacles écologiques. Belli Mercator, à l’origine, n’était pas le nom de la compagnie, mais celui du premier spectacle. Belli Mercator, les marchants de guerre : un trio de marchands d’armes humoristiques avec une charrette achalandée d’armes. Nous jouons trois spectacles différents dans la journée, racontant les armes au Moyen-âge, la bataille de Poitiers, la vie de Saint-Louis. On était rattaché à Culture en Mouvements, mais dans le réseau médiéval, ce nom ne disait rien à personne, alors que Belli Mercator était plus immédiat. On entendait souvent ‘Ah tiens ! Ce sont les Belli !’ ».
Céline précise ensuite : « Et Brice nous a rejoint en 2015. On a écrit La Brigade du temps pendant l’hiver 2016. Cela nous a pris tout un hiver, parce que c’est un spectacle de deux heures, en tout. Nous sommes des super-héros, des Brigadiers du temps, qui ont pour mission de raconter le Moyen-âge en quatre fois trente minutes ».

Vêtue de ses costumes noirs, la BITCH – entendez, Brigade d’Intervention Temporelle de Cohérence Historique – n’a qu’une mission : nous raconter les mille ans d’Histoire du Moyen-âge avec autant de panache que d’humour décalé, sans jamais oublier la justesse du propos historique. Un bien vaste programme… ! « Pour résumer le Moyen-âge en quatre fois trente minutes, il faut des super-héros, mais il faut surtout énormément de travail. Il faut commencer par compulser des documents historiques pour en tirer ce qui nous paraît adaptable au théâtre et digne d’intérêt pour les spectateurs. C’est très long, mais très intéressant » explique Brice. Vincent renchérit : « La phase d’écriture a été assez drôle. On a fait beaucoup de recherche, en essayant d’être le plus éloigné possible des clichés que l’on peut trouver dans les vieux livres d’Histoire, pour coller au plus près des nouvelles recherches archéologiques et historiques. Cela nous a pris beaucoup de temps, mais c’était passionnant ».
Au fil de la journée, nulle lassitude possible. Belli Mercator ne joue jamais le même spectacle deux fois dans l’après-midi : les mille ans d’Histoire s’enchainent au cours de ces quatre épisodes. Ainsi nombreux sont les spectateurs à multiplier les représentations. « Bien que ce spectacle soit encore un peu frais, à chaque fois, on a des parents qui viennent nous voir à la fin, en nous disant ‘C’est incroyable, nos enfants n’aiment pas l’Histoire, mais que c’est la troisième fois qu’on vient vous voir dans la journée !’. Ils nous disent tous de venir dans les collèges, dans les écoles, pour raconter l’Histoire de cette manière là. Sur une journée, cela permet de proposer une programmation variée, ce qui est plutôt intéressant pour les organisateurs » explique Vincent.

Pour les trois comédiens, le rythme est particulièrement soutenu. A la fin de chaque représentation, il faut ranger les costumes, décors et accessoires de l’épisode qui vient de s’achever, pour préparer celui qui s’annonce. Chaque spectacle nécessite une organisation minutieuse pour assurer son bon déroulement, comme le précise Céline : « C’est un spectacle dans lequel on incarne tous différents personnages. On a beaucoup de changement de costumes. A chaque épisode, on fait entre trois et sept personnages chacun. C’est assez sportif en coulisses ! ».
Au même titre que le propos historique qu’ils développent dans le texte, les comédiens de Belli Mercator souhaitent garder une cohérence dans les costumes qu’ils proposent sur scène. « Même pour des personnages qui restent deux minutes sur scène, on s’est attaché aux détails. On a un passage sur la chute de l’Empire romain, pour les casques des légionnaires, on a bien pris des casques du IVème siècle, qui correspondent à cette époque. On n’est pas tombé dans le cliché de prendre le casque du légionnaire romain que l’on voit dans Astérix, ce n’est pas la bonne période. Quelques historiens sont venus nous voir en nous disant ‘Les gars, le casque romain, c’est celui de la bonne période !’ » rapporte Vincent. C’est leur profond ancrage historique et la qualité de leur travail de recherche qui offrent à la compagnie la liberté de faire, par endroit, des pas de côté, comme le précise Brice : « On a une base historique très fidèle, ce qui nous permet, pour le gag, de partir dans des anachronismes qui deviennent tellement visibles qu’il n’y a pas de confusion. Le public voit tout de suite quand on sort de l’historique pour aller vers quelque chose qui ne l’est pas du tout ».
Sur scène, le théâtre de rue de Belli Bercator, au-delà d’être exigeant, se révèle particulièrement drôle. Les bons mots se succèdent au phrasé et au jeu plein d’humour, pour finir sur des grands classiques musicaux revisités. Made in Normandie, recyclée en Made in Northmanie, pour raconter l’arrivée des Vikings, obtient l’adhésion et les rires de tout le public massé dans les gradins et bien au-delà. « Le rire, c’est toujours un bon moyen de faire passer les choses. L’Histoire n’est pas très drôle, on nous apprend les dates des batailles, des bouleversements, on compte les milliers de morts… » explique Brice. Céline renchérit : « Pour l’avoir vu sur certaines fêtes médiévales, sur les campements, quand les gens parlent très sérieusement des armes et des batailles, on s’ennuie un peu. On ne reste pas une demi-heure à écouter quelqu’un qui raconte une bataille de manière laconique et pas très marrante… ». Belli Mercator s’appuie également sur sa solide connaissance du milieu médiéval et du public qui se presse dans ces ruelles animées. « On reste sur du spectacle populaire dans des fêtes historiques, avec un public qui ne va pas forcément aux spectacles. Par le rire, on touche facilement les gens. Ils viennent, si ça ne leur plait pas, ils repartent. Là, ils apprennent des choses intéressantes en rigolant. On réussit à interpeller les gens et à les garder par ce biais là » rappelle Vincent.
Si La Brigade du temps dresse le portrait de mille ans d’Histoire, pour y arriver, il a fallu choisir des partis pris. « On a vraiment essayé de casser les gros clichés. On a repris certains grands personnages que l’on trouve dans les cours d’Histoire, comme Charlemagne, Clovis… Clovis qui était belge et qui n’était pas franc, Charlemagne qui n’avait pas la barbe fleurie. On essaye d’expliquer pourquoi ces clichés sont arrivés, et de montrer que ce n’était pas ça » raconte Céline. Pour Brice, déconstruire les clichés permet aussi de remettre les choses à l’équilibre, pour éviter la récupération dont est souvent victime l’Histoire. « Sans que ce soit un engagement fort, mais juste saupoudré, on a essayé de casser les clichés qui sont en général récupérés par les nationalistes. On rappelle que Clovis et Charlemagne ne sont pas nés en France, alors qu’on s’en sert toujours comme de grandes figures qui vont aider l’extrême droite à réunir leurs troupes. Charles Martel n’a pas arrêté les Arabes qui montaient jusqu’à Poitiers, il y avait des razzia, il se battait contre plein de gens. Ce sont des partis pris, qui sont des réalités historiques. L’Histoire, c’est un grand terrain de récupération… Il n’y a pas de bons et de méchants. Quand l’Histoire est reprise, c’est toujours nous contre les méchants qui arrivent de l’extérieur. Ce n’était pas vraiment ça. Notre discours n’ira certes pas jusqu’à la paix des peuples, mais au moins tend vers quelque chose de moins tranché ».
La Brigade du temps s’articule majoritairement autour de l’Histoire de France, ce qui permet au public de faire un parallèle entre les grandes lignes apprises à l’école et ce qui se joue sous ses yeux. « On fait beaucoup l’histoire des grands hommes, parce que c’est ce que l’on apprend à l’école, même si l’Histoire, ce n’est pas que les grands hommes, ce sont les peuples. On essaye de parler d’eux, en parlant également du peuple, pour expliquer ce qu’il se passait. Pour Charlemagne, on revient sur la barbe fleurie, mais on raconte aussi que c’était un génocidaire. Il a massacré les peuples saxons d’une manière qui fait de lui un despote monstrueux. Il a déporté des populations, exterminé des tribus…pour finir empereur sanctifié ! Ces fameux grands hommes avaient aussi leurs défauts ! On aborde majoritairement l’Histoire de France, mais on a aussi essayé d’ouvrir un petit peu. Dans chaque épisode, il y a un moment ‘Pendant ce temps-là, dans le reste du monde…’. On donne des éléments historiques sur d’autres pays pour rappeler que le Moyen-âge, ce n’est pas juste la France, l’Angleterre et les Croisades, que le monde était déjà le monde, qu’en Amérique, même si elle n’avait pas encore été découverte, il y avait déjà des civilisations qui vivaient très bien. On parle de la Chine, du Japon, de l’Afrique… » explique Vincent.

Chez Belli Mercator, les créations se font de manière collective, dans une grande synergie où les idées d’entremêlent. Céline en rit : « Alors, on se dispute, on se dispute, on se dispute… », avant que Brice embraye « Parce qu’on discute, on discute, on discute ! Et ensuite, on rigole… ! ». « Quand on écrit un spectacle à trois, cela amène forcément des débats sur ce qu’il faut garder ou non, sur le niveau de détail du propos historique » reprend Céline. C’est très certainement le fait d’avoir créé ce spectacle à six mains qui lui donne un véritable caractère collectif, où la cohésion d’équipe se devine sans mal. « On est vraiment parti de l’écriture, mais ensuite, il y a des choses que l’on change quand on commence à travailler au plateau. Il y aussi parfois des choses que l’on transforme après avoir un peu joué le spectacle. Avec l’expérience, on sent un peu mieux les choses, on sait plus ou moins ce qui va fonctionner ou non » commente Brice.
Les créations sont constamment réarrangées. « On a joué ce spectacle trois fois l’an dernier, ce qui nous a permis de voir, en situation public, les moments qui fonctionnaient bien et ce qu’on devait revoir. On s’était filmé, donc se revoir nous a permis de bien travailler. En théâtre de rue, le spectacle évolue toujours. Le premier spectacle que l’on a écrit, chaque année, nous l’avons remanié » explique Céline.
« C’est du spectacle vivant, il faut que ça évolue ! Aujourd’hui, nous sommes trois comédiens et un régisseur qui nous permet d’avoir une version sonorisée » raconte Vincent. L’absence de sonorisation les contraignait auparavant à pousser davantage leur voix, quitte à perdre en finesse dans le jeu et à devoir jouer devant des audiences plus réduites.
En parallèle de leurs spectacles, les artistes de Belli Mercator sont membres du collectif Culture en Mouvements. « Aurélien Zolli, avec qui nous avons écrit le premier spectacle, était un des membres fondateurs de Culture en Mouvements. Culture en Mouvements nous a porté administrativement quand on a commencé ce projet. Ils faisaient nos contrats, nos fiches de paie. Petit à petit, on est rentré dans le comité de pilotage de cette association qui produit aussi des spectacles. La Brigade du temps est une des productions de Culture en Mouvements. L’idée de ce collectif est d’amener le spectacle partout, d’amener la culture dans les lieux où on ne la trouve pas forcément » explique Céline.

Belli Mercator s’inscrit complètement dans ce cheminement en proposant un théâtre de rue de qualité, exigeant, drôle et accessible à tous. « Pour moi, la rue, c’est un public à gagner, qui n’est pas acquis. C’est un public plus familial, qui n’est pas forcément dédié au théâtre. Cela influe forcément dans la création : on veut faire un spectacle qui soit populaire, mais pas populiste, pas ras des pâquerettes. L’exercice est intéressant ! » raconte Brice. « On essaye de maintenir la qualité, même si on est dans la rue. L’autre vraie différence, c’est que dans nos spectacles médiévaux, nous n’avons pas de quatrième mur. On parle au public, on va les voir, il y a une vraie interactivité. On a facilement le contact avec les gens, mais on peut rapidement le perdre. Mais, comme ils restent, cela veut dire que le pari est gagné ! » termine Vincent.
Belli Mercator et sa Brigade du temps a bel et bien été l’une des plus belles découvertes lors des Médiévales de Bayeux. Avec la générosité qui caractérise leur jeu de comédiens, et la franche camaraderie qui les unit, sur scène et en dehors, Belli Mercator a proposé au public bayeusain un théâtre de rue de qualité qui a réjouit le public, venu en nombre pour découvrir leur travail. La grande intelligence de ce spectacle est de s’adapter à chaque membre du public, en offrant des niveaux de lecture différents. Adultes et enfants n’y verront pas la même chose, n’en garderont pas les mêmes souvenirs, mais seront d’accord pour affirmer que ce spectacle, il ne fallait pas le manquer !