Freaks & Cie dévoile sa première création : La Princesse au Petit Pois !

Peu avant leur dernière sortie de résidence à Romainville, nous avons rencontré l’équipe de Freaks & Cie, venue nous parler du premier spectacle de cette jeune compagnie, La Princesse au Petit Pois. Mathieu Blasquez, William Chenel et Charlotte Frange, tous les trois comédiens, nous ont raconté l’histoire de cette nouvelle création, mise en scène par Mathieu.

À l’origine du projet se trouve ce conte d’Hans-Christian Andersen, adapté par Edouard Signolet, dans lequel un jeune prince cherche une vraie princesse qu’il pourra épouser. Une multitude de princesses défilent, sans qu’aucune ne trouve grâce à ses yeux. Un jour arrive une jeune fille, trempée par l’orage. La Reine décide de la mettre à l’épreuve et de cacher, sous ses innombrables matelas, un petit pois. Si la jeune fille parvient à le sentir, c’est alors le signe qu’elle est une vraie princesse…

 

« J’ai eu envie de monter un spectacle jeune public en me disant qu’on pouvait leur proposer beaucoup mieux que ça »

Mathieu nous raconte l’origine du projet : « Au début, c’était une envie commune, de Charlotte et moi, de monter un spectacle jeune public. J’ai lu beaucoup de choses, j’ai passé beaucoup d’après-midi à la bibliothèque, mais rien ne me plaisait vraiment. Ensuite, je suis tombée sur cette pièce d’Edouard Signolet, La Princesse au Petit Pois. Elle m’a beaucoup fait rire et donc je l’ai soumis à Charlotte pour savoir ce qu’elle en pensait ». « Quand je l’ai lu, je n’ai pas eu le même emballement que Mathieu. Mais comme il était prévu que dans ce projet, on travaille en binôme et que Mathieu mette en scène, ça ne pouvait pas être moi qui prenais la décision finale. Mon avis n’était pas prioritaire, il fallait surtout que la pièce plaise à Mathieu puisque c’est lui qui allait la mettre en scène » confie Charlotte. Le temps long de la création leur permet de laisser reposer les choses, pour finalement en reparler. Charlotte reconnaît avoir eu des doutes sur le texte : « À la première lecture, je me suis vraiment dit qu’il y avait beaucoup de sujets abordés dans la pièce, sans voir ce que les enfants allaient comprendre », jusqu’à s’interroger sur le caractère jeune public de la pièce. Face au solide argumentaire construit par Mathieu, et à des idées déjà bien précises sur les potentialités offertes par cette pièce, les deux artistes s’arrêtent sur ce texte. Ce sera La Princesse au Petit Pois.

© Anthony La Lumia

William rejoint le projet par le biais de la musique. « C’est Charlotte qui m’a parlé du projet, parce qu’elle savait que je voulais faire un spectacle pour enfants. Je voulais faire un spectacle musical. On en avait parlé avec Mathieu, j’avais adoré la pièce en la lisant, je la trouvais très drôle aussi. Je pensais même prendre des morceaux de textes, et les faire en chansons. Au final, ça n’a pas été le cas, on a juste rajouté des chansons dans la pièce. Il y a des chansons et de la musique, que j’ai composé au piano, spécialement pour ce spectacle ».

Mathieu, de son côté, avait déjà travaillé dans un spectacle jeune public, qui, artistiquement, ne le satisfaisait pas pleinement. « J’avais l’impression qu’on prenait les enfants pour des imbéciles ou en tout cas, qu’on n’essayait pas de les élever. J’ai eu envie de monter un spectacle jeune public en me disant qu’on pouvait leur proposer beaucoup mieux que ça. Au lieu de nous abaisser à faire quelque chose qui pourrait leur plaire, plutôt les élever vers quelque chose qui allait les faire réfléchir ». Le ton était ainsi donné : faire de ce spectacle jeune public une création de qualité, aussi exigeante que tout autre spectacle pour adultes, utiliser le théâtre pour questionner, ouvrir la réflexion, et élever le spectateur.


« Montrer au public, aux enfants, comment se construit une pièce de théâtre »

Si, comme William le précise, dans la version jouée par la Comédie-Française, la pièce était interprétée par quatre comédiens, Mathieu choisit de se limiter à trois artistes au plateau. « Il y a un côté très ludique de jouer chacun plein de personnages différents ». Pour Mathieu, il s’agit là d’un vrai parti pris dans la mise en scène, qui sert leur volonté de nourrir un spectacle qualitatif et intelligent. « J’ai choisi de la monter à trois, pas seulement pour des raisons économiques, mais surtout pour des raisons artistiques. Ce que je trouvais intéressant, et c’est ce qu’on a essayé de faire dans toute la mise en scène, c’est de montrer au public, aux enfants, comment se construit une pièce de théâtre. C’est pour cette raison qu’il n’y a jamais de coulisses, on est tout le temps tous les trois sur scène. On fait tous les changements à vue, et c’était vraiment une volonté dès le départ ». Le plateau devient l’unique épicentre de la pièce. Tout naît de là, y circule, sans jamais quitter les planches. Les changements de décors, de costumes, se font sous les yeux du public. La musique n’est jamais lancée depuis la régie, elle est jouée sur scène par William. Tout est créé, en instantané, sur le plateau, dans ce vaste microcosme construit par ces comédiens qui en poussent les murs. Ils se sont artistes et artisans de ce spectacle. « Souvent dans le jeune public, un comédien joue un personnage, puis se change entièrement en coulisse, et revient sur scène en essayant de faire croire aux enfants que c’est un nouveau personnage et un nouveau comédien. On ne voulait pas de ce parti pris. On désire montrer aux spectateurs que c’est bien nous, comédiens, qui nous changeons pour interpréter un autre personnage » souligne Mathieu.

Face à cette profusion de personnages – onze au total, il a fallu trouver les ressors pour faire exister chacun d’entre eux, pour les rendre identifiable, pour souligner les passages de l’un à l’autre. William nous raconte : « Quand on change de roi, au-delà du changement de costume, il fallait trouver autre chose dans la posture, dans l’accent. Au début, c’était compliqué. On se demandait comment faire comprendre aux enfants qu’on changeait de personnage. Aujourd’hui, on a bien marqué nos personnages, il n’y a plus de confusion possible ».

© Anthony La Lumia

La Princesse au Petit Pois alterne les scènes jouées par de multiples personnages et des temps de narration. « La pièce est construite de telle façon que ce sont des enchainements de scènes, et entre chaque scène, les narrateurs prennent la parole pour faire le lien entre elles. On est trois narrateurs qui prennent la parole pour planter le décor » explique Mathieu, avant que Charlotte complète : « Plus que planter le décor, ces passages-là nous permettent de déplacer le décor. Pendant les passages de narration, les décors bougent en même temps pour changer d’univers et de lieu ». Dans la pièce, on trouve également quelques phrases en danois, venues de nulle part. « Il y a des didascalies qui expliquent ce qu’elles veulent dire, et donc moi, je l’explique. Ce n’est pas sensé être dit ». Sortant de son personnage, créant une rupture dans le jeu, William utilise la narration pour expliciter.

 

« Cela nous a permis d’avancer en étant un peu plus confiants dans ce que l’on faisait »

Si le temps de création s’est étalé sur un peu plus d’un an, pour les trois artistes, il aura fallu totaliser un mois de travail pour aboutir à ce spectacle. Mathieu nous raconte les différentes étapes : « En octobre 2017, nous avons fait trois jours de résidence à Dourdan, durant lesquels on n’a pas du tout travaillé sur le texte. On a fait beaucoup d’exercices, d’improvisation. Je sortais d’un stage qui m’avait beaucoup marqué, à ce moment-là. J’ai eu envie de réutiliser des choses qui m’avaient beaucoup nourri. Ensuite, on a fait une semaine de résidence à l’Agora de Commentry, à côté de Montluçon. On a vraiment pu commencer le travail dans une vraie, belle, grande salle. Ensuite, on a fait deux semaines de résidence à Romainville. On a mis en route un parcours pédagogique avec des classes. Trois classes de primaire sont venues nous voir à différentes étapes du parcours de création, à trois reprises. La première fois qu’ils sont venus nous voir, on leur a fait une lecture. On leur a expliqué que c’était par là que tout commençait pour créer une pièce de théâtre. La deuxième fois, ils sont venus assister à une répétition. On a vraiment travaillé comme on le fait au quotidien, on a pris une scène, on l’a faite, on l’a refaite, on a changé, on a gardé des choses, on en a supprimé d’autres, on en a modifié… ».

À l’un des objectifs premiers de ce spectacle – montrer, à vue, comment celui-ci se monte, répond une phase de création qui a emprunté le même chemin. Il fallait donner à voir et expliciter la voie prise par le metteur en scène et les comédiens pour arriver jusqu’à une version finale. « C’était instructif pour eux. Même pour ceux qui vont voir des spectacles, ils ont rarement l’occasion de voir comment ça nait, comment ça se crée, par quelles étapes on passe pour arriver au résultat final. Cela nous a permis, à différentes étapes, d’avoir des retours directs des enfants. Savoir si on était sur la bonne piste, savoir s’ils comprenaient ce que l’on faisait, si c’était pertinent. Cela nous a permis d’avancer en étant un peu plus confiants dans ce que l’on faisait ». Comme un spectacle monté pour les enfants, sous le regard des enfants…

 

« On voulait quelque chose qui soit intemporel »

© Anthony La Lumia

Pour les costumes de La Princesse au Petit Pois signés par Charlotte, l’envie était clairement affichée de ne pas coller à l’esthétique des contes traditionnels et des images bien connues de princes et princesses. Elle nous en raconte la création : « Il y a eu beaucoup de débats sur les costumes. Les premières idées de Mathieu consistaient à avoir une base noire sur le bas, un tutu pour la fille, un pantalon pour les garçons, et un haut blanc. On avait finalement décidé de les mettre de côté et de rentrer dans des costumes intégraux. Une amie, designeuse de mode, a dessiné des costumes dans lesquels on pouvait tout enfiler d’un coup. Les premiers dessins qui sont sortis, c’était une veste et un tutu, de taille différente, avec un code couleur. Elle nous a fait tout un panel de costumes, qu’on a présenté aux enfants ». William évoque l’un des désavantages de ces premiers essais : « Le problème était aussi qu’en voyant certains costumes, on identifiait trop facilement une époque. On voulait quelque chose qui soit intemporel, pour ne pas pouvoir dater précisément la scène ». Au final, d’un commun accord, l’idée première de Mathieu est revenue sur le devant de la scène : un bas noir, un haut blanc, et une veste pour signifier le changement de personnage.

La question des couronnes a aussi donné lieu à de nombreux échanges, comme le raconte Mathieu : « J’étais contre les couronnes, je ne voulais pas que les personnages en aient. Au final, c’est tout un cheminement, c’est aussi pour ça que le travail a duré un an, avec des intervalles qui te permettent de nourrir ta réflexion. On est arrivé à la conclusion que pour signifier le changement de personnage, il fallait qu’on ait quelque chose sur la tête. Au début, j’avais pensé à des chapeaux ou même des chapeaux militaires, mais cela faisait très XIXème siècle. Finalement, j’ai été convaincu par mes camarades : on a mis des couronnes ».

Charlotte le reconnaît, sans infantiliser les enfants, il était malgré tout nécessaire d’avoir des codes facilement compréhensibles. « Quand on parle du Roi et de la Reine, il faut qu’il y ait quelque chose qui percute. Le Roi, c’est très clair, c’est une couronne crantée, basique. Pour la Reine, je voulais quelque chose de plus farfelu, elle a donc un turban. Dans les costumes, j’ai aussi voulu signifier quelque chose au niveau des âges : vous verrez toujours les princesses avec des vestes courtes, les princes aussi, alors que les Rois et les Reines, ont des vêtements beaucoup plus longs, pour signifier quelque chose qui a poussé avec l’âge. C’était mon idée de départ, qui a vraiment muri au fur et à mesure ».

Durant la dernière phase de création, avant la première date à Commentry, s’est posée la question du rôle de Mathieu. Comment continuer à avancer, courir le dernier sprint avant la création, quand on est tout à la fois comédien et metteur en scène d’une pièce ? Comment être l’œil extérieur d’un spectacle, celui qui l’observe le plateau et l’embrasse dans sa globalité, quand on est soi-même sur les planches ? Charlotte souligne : « Mathieu avait parfois le regard absent, en train de regarder ce qui se faisait, puis il revenait au jeu ». William renchérit : « On lisait sur ses lèvres qu’il disait les répliques en même temps que nous. Parfois, on jouait une scène, il sortait du plateau, puis il revenait pour dire sa réplique ». Alors la dernière semaine, avant la première, l’équipe a été soutenue par d’autres artistes venus jouer les regards extérieurs. « J’ai pu laisser le travail de metteur en scène pendant certains moments, pour me concentrer sur celui de comédien. On a eu trois troisième œil : Anthony La Lumia, de Sembadelle, François Michonneau et Willy Vanhonnacker. Ils nous ont aidés, nous ont aiguillés ». En parallèle, quelques filages étaient filmés, permettant ainsi d’observer et de décrypter en commun le travail réalisé.

 

« L’avantage avec ce public, c’est qu’il ne te ment pas, jamais »

© Anthony La Lumia

À les entendre nous raconter tous les trois l’envers du décor de cette création, on comprend aisément leur volonté farouche d’arriver à un spectacle juste, de qualité, qui puisse parler tant aux adultes qu’aux enfants. « Je me suis interrogé sur ce qui faisait, pour moi, un spectacle jeune public. Pour moi, c’est le texte. Le texte est ce qu’il est, il est écrit pour des enfants, dès le départ. C’est clair, c’est simple, c’est parfois un peu naïf, même si le texte traite de sujets importants, et pour moi, c’est vraiment ça qui fait la base. Evidemment, dans la mise en scène, il y a des choses que l’on va s’interdire de faire. On ne va mettre de choses à connotation sexuelles évidentes, par exemple. A partir de là, le jeu des comédiens, la mise en scène, et le reste, doivent être aussi exigeants, doivent demander autant d’engagement et de travail que n’importe quel spectacle pour adultes. Je pense que les enfants sont capables de tout comprendre, de tout entendre. C’est à nous de ne pas tomber dans le piège en se disant que ce sont des enfants, qu’ils ne peuvent pas comprendre. Il ne faut pas parler pour eux » explique Mathieu.

Si Mathieu et William avaient déjà travaillé en direction du jeune public, Charlotte se lançait pour la première fois devant ces petits spectateurs. « L’avantage avec ce public, c’est qu’il ne te ment pas, jamais. Quand ils sont contents, tu le sais, quand ils ont peur, tu le sais, quand ils comprennent, tu le sais. Tu sais tout, tout le temps. J’ai trouvé ça incroyable parce que ça te permet, sur le moment, d’être en interaction avec eux. J’ai eu l’impression de rebondir, d’aménager mon jeu en fonction de comment ils étaient ».

Le regard des enfants leur a permis de questionner certains partis pris. « Dans la scène que l’on a travaillée devant eux, il y a deux sœurs cannibales. Je leur ai demandé, en improvisation, de rentrer sur scène et ensuite d’aller dans le public pour faire peur aux enfants. Et au final, les enfants ont rigolé. On ne sait pas trop si c’était des rires de gène, de défense. On s’est rendu compte que c’était un peu l’effet inverse de ce qu’on espérait. Ca nous a permis de retravailler cette scène, de la faire différemment » raconte Mathieu. À l’inverse, ces différentes rencontres avec les scolaires ont aussi contribué à confirmer certaines pistes explorées, comme le souligne William : « Ca nous a aussi confortés dans certains partis pris. Quand on voyait que cela fonctionnait, on savait qu’on pouvait le garder ».

Si la pièce questionne autant, c’est aussi parce qu’elle traverse et explore des sujets aussi variés que parfois peu commun pour le jeune public : le cannibalisme, le rapport à l’apparence, le handicap… Freaks et Cie pousse la réflexion jusqu’à créer un travestissement. William se fait Reine, Mathieu campe le Roi, et ils s’embrassent. « Là, ils pensent tout de suite à l’homosexualité, ce n’est pas commun pour eux. Pour moi, c’était très important de rester dans une démarche brechtienne : vous voyez les personnages du Roi et de la Reine, mais n’oubliez pas que derrière, nous sommes des comédiens, nous jouons les rôles de… C’est ça le théâtre. Et les enfants l’ont bien compris, puisque sinon, ils n’auraient pas réagi. » confie Mathieu.

 

« Le but, c’était d’être nomade, de pouvoir jouer n’ importe où presque »

 

© Anthony La Lumia

S’ils recommandent le spectacle à partir de 6 ans, il arrive que de plus jeunes enfants viennent assister à la pièce, comme cela a été le cas à Commentry. « Finalement, même les plus jeunes sont restés très concentrés. Peut-être qu’ils n’ont pas tout compris, mais ce n’est pas grave. Le but d’un spectacle, ce n’est pas forcément de tout comprendre, mais de ressentir les choses ». Pour seconder les propos de Mathieu, Charlotte souligne la mise en scène efficace et très adaptée aux spectateurs, réalisée par ce dernier : « Je ne sais pas s’ils ont été attentifs tout le long, mais ce qui est sur, c’est que dans la mise en scène qu’a fait Mathieu, même s’il y a des moments de latence, de longueur où ils ont pu perdre le fil, il y en a toujours où on arrive à les rattraper !».

Dans sa forme, leur Princesse peut voyager partout, comme le rappelle Mathieu : « Le but, c’était d’être nomade, de pouvoir jouer n’ importe où presque. C’est pour ça que je voulais que tout soit fait sur scène. Le spectacle peut aussi bien être joué dans une vraie salle avec de la lumière, que dans une salle polyvalente, une salle des sports ».

Si La Princesse au Petit Pois s’adapte aux petits, elle a surtout l’exigence des grands, et la volonté d’amener le théâtre partout où l’on veut l’accueillir, pour déposer auprès de ces jeunes spectateurs (et des plus grands) quelques graines de réflexion sur le monde qui les entoure. Nous connaissions ces trois comédiens pour leur travail au sein de la compagnie de théâtre de rue Sembadelle. Force est de constater que Freaks & Cie partage cette même frénésie chaleureuse à faire vivre un théâtre qui se réinvente, déjouant les obstacles pour en faire de plus grandes forces, prenant à bras le corps la matière première, le texte, pour lui donner vie et lui offrir le meilleur écho possible. De quoi se réjouir face à l’abnégation et l’enthousiasme de ces trois artistes pour faire exister un théâtre jeune public aussi solide que drôle, aussi intelligent que divertissant. Longue vie à la Princesse au Petit Pois !

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