La Princesse au petit pois : une création haute en couleurs

C’est dans la jolie salle intimiste de l’Espace Jacques-Brel de Romainville que Freaks & Cie est venu jouer sa Princesse au petit pois, mise en scène par Mathieu Blazquez. Après avoir interviewé la compagnie en novembre, nous sommes allés découvrir ce spectacle haut en couleurs. Coup de projecteur sur une jeune création inventive, menée tambours battants par un trio de comédiens aussi joyeusement drôles qu’incroyablement justes !

Dans cette adaptation du conte d’Andersen, Mathieu Blazquez signe une mise en scène efficace et bien pensée. Au plateau, un piano, un portant de costumes, une petite estrade et deux panneaux mobiles. Tout au long de la pièce, les espaces se construisent et se déconstruisent selon les mouvements de ces éléments de décors.

La pièce est impressionnante par le rythme avec lequel elle est conduite. Les scènes jouées alternent avec les passages de narration, pendant lesquels Charlotte Frange, William Chenel et Mathieu Blazquez s’extirpent de leurs personnages pour raconter, en off, l’évolution de l’histoire. Les comédiens passent de l’un à l’autre, en ôtant ou en mettant leurs costumes. Nul temps mort : ce conte initiatique dans lequel le jeune prince parcourt le monde à la recherche d’une vraie princesse à épouser ne connait que peu de répit. Chacun des trois comédiens lui offre une énergie débordante, une heure durant.

Chaque rencontre avec une nouvelle princesse est l’occasion d’un changement d’univers. Dans une profusion de costumes, confectionnés par Charlotte, et d’accents, les princesses défilent les unes après les autres. Le public est hilare face à cette princesse, et son père, à l’accent québécois exacerbé. Le plateau se transfigure pour laisser place au château des deux princesses cannibales, dans une atmosphère enfumée où raisonnent des rires glaçants.

L’une des grandes qualités de ce spectacle est de faire cohabiter une multitude de rôles portés par les trois comédiens. Chacun d’eux endosse le costume de plusieurs personnages : Roi, Reine, princesses, Prince…C’est aussi l’une des spécificités : un même personnage peut être joué par plusieurs comédiens. Chaque fois, le changement est signifié de manière limpide. À aucun moment ils ne perdent leurs spectateurs dans cette multitude de personnages. Freaks & Cie se jouent aussi des genres : féminin et masculin se mélangent. William termine le spectacle sous la coiffe d’une Reine haute en couleurs !

Les trois comédiens offrent un jeu d’une grande homogénéité, avec une ligne directrice très forte qui, sans nier leur individualité, participe à la construction d’un bel équilibre. Ils usent, sans en abuser, d’une foule de mimiques et d’expressions exagérées, utilisent la répétition à plusieurs reprises, jusqu’à faire naître, immanquablement, le rire chez les spectateurs, petits et grands confondus. Dans La Princesse au petit pois, le théâtre côtoie la musique, composée et jouée par William, et le chant. Pour parfaire le tout, les trois comédiens ont peaufiné la gestuelle. William et Charlotte, en princesses cannibales, sont époustouflants : leurs mouvements, presque reptiliens, sont d’une justesse remarquable et renforcent encore davantage la crédibilité de la scène.

La grande intelligence de cette création est de l’avoir rendu accessibles, aux petits comme aux plus grands. Tout au long du spectacle s’opère une double appropriation : adultes et enfants y puisent ce qui leur parle. La pièce ne fait l’impasse sur aucun sujet, la mort, le cannibalisme, le handicap, la sexualité, le rapport à l’autre. Dans sa mise en scène, Mathieu évite, avec brio, l’écueil si facile de l’infantilisation. Rien n’est édulcoré, tout est traité avec subtilité, sous couvert d’humour, pour défendre le propos du spectacle.

Tout au long du spectacle, la mise en scène joue sur le visible et l’invisible, ce que l’on voit et ce que l’on devine. Les changements de costumes se font tous au plateau, dissimulés derrière des éléments de décor, mais suffisamment visibles pour qu’on les devine. Pour la scène finale, le décor est monté en live, derrière les panneaux mobiles. Seuls nous parviennent les claquements de bois et les cliquetis du métal.

Si La Princesse au petit pois s’annonçait sous les meilleurs hospices, force est de constater que Mathieu, Charlotte et William ont tenu toutes leurs promesses ! Cette création dynamique, drôle, touchante, regorgeant d’idées toutes plus brillantes les unes que les autres, nous rappelle que le théâtre n’a nul besoin d’être alambiqué pour parler à chacun de nous. Il lui suffit d’être sincère, créatif, et solidement porté pour obtenir l’adhésion d’un public, plus que conquis.

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