Aux côtés de Mademoiselle Molière au théâtre Rive Gauche

Au théâtre Rive Gauche se joue depuis janvier 2019 Mademoiselle Molière, Aimer la mère ou épouser la fille, pièce écrite par Gérard Savoisien et mise en scène par Arnaud Denis. L’auteur propose un sulfureux voyage dans l’intimité du couple Jean-Baptiste Poquelin, interprété par Christophe de Mareuil, et sa maîtresse Madeleine Béjart, interprétée par Anne Bouvier. Gérard Savoisien nous propose une plongée en plein XVIIème siècle, sous le règne flamboyant du Roi Soleil. Il s’agit ici d’une fiction historique racontant un moment crucial de la vie de Molière, qui sans nul doute, aura un impact décisif sur les chefs d’œuvres qu’il proposera ensuite, comme L’École des femmes. La pièce

Nous suivons tout d’abord Jean-Baptiste Poquelin, interprété par l’excellent Christophe de Mareuil, auteur en quête de reconnaissance artistique, se comparant sans cesse aux grands artistes de l’époque comme Corneille ou La Fontaine. C’est en participant aux fêtes données par le ministre Fouquet,  richissime personnage et proche du monarque, que Molière parviendra à se faire une place dans le milieu restreint des artistes de cour. Madeleine, sa maîtresse et son soutien de toujours, le conforte et l’entraîne dans sa passion du théâtre. Les deux artistes, complices et conscient du jeu de dupe auquel ils prennent part, gardent à l’esprit leurs origines sociales et ne manquent pas de railler les manières et les mimiques de ces marquis et autres duchesses : l’imitation de Fouquet par Christophe de Mareuil est à tomber part terre !

Mais voilà qu’en pleine ascension Molière avoue à Madeleine son amour pour Armande Béjart, la fille même de sa maîtresse. Ce coup de tonnerre sonne le glas de leur relation. Anne Bouvier excelle dans son jeu pour montrer l’aversion et la rancœur que Madeleine éprouve envers cet homme qu’elle aime éperdument.

L’intelligence de cette pièce réside dans le relief donné à la relation entre les deux comédiens, compagnons de scène, ils sont avant tout un couple. Molière, aveuglé et confondu par ses sentiments pour Armande,  décide de délaisser Madeleine et le public assiste abasourdi à la fuite en avant du couple qui jamais ne s’arrêtera. Cependant chacun des comédiens conserve une pointe d’humour, dans le jeu et le texte, qui permet à la pièce de ne pas tomber dans le pathos.

Comme le souhaitait Molière qui disait “vouloir mêler la comédie et la tragédie”, c’est finalement ce que nous retrouvons dans cette pièceAnne Bouvier.

 

Photo Fabienne Rappeneau, tous droits réservés.

Anne Bouvier, nommée aux Molières pour ce rôle (déjà nommée en 2014 dans la catégorie Seul en scène et récompensée en 2016 par le Molière de la meilleure comédienne dans un second rôle dans Le Roi Lear) , interprète une Madeleine Béjart très attachante, n’acceptant pas de voir la rupture artistique et amoureuse se profiler. Elle masque d’abord ses émotions avec des éclats de rire fréquents avant de sombrer dans une tristesse inconsolable. Au-delà de cette perte de repère, Madeleine affronte également ses peurs vis-à-vis du vieillissement, elle qui aimerait interpréter une dernière fois une naïade sortant de sa coquille, telle Vénus dans son coquillage.

Christophe de Mareuil, déjà familier de Savoisien lorsqu’il jouait Mérimée dans Prosper et George, propose un Molière à la fois fragile et malgré tout certain de ses sentiments, quitte à détruire Madeleine. Le public est démuni face à l’arrogance du personnage.  Nous sommes les tristes témoins d’un homme fantasque, égoïste, pris dans le tourbillon du succès et de la passion de l’amour, pris dans la brèche  entre l’homme privé et la figure publique qu’il incarne.

La mise en scène d’Arnaud Denis est un véritable délice. Simple sur la forme, elle propose pourtant au public une réelle immersion dans le couple : nous sommes avec eux lorsqu’ils sont dans la salle à manger et dans les coulisses lorsqu’ils sont sur scène. La pièce est ponctuée de passages de Molière (L’École des Maris, Les Fâcheux ou encore Le Dépit amoureux) qui viennent, un temps, nous faire oublier la situation désastreuse dans laquelle se trouve le couple.

Photo Fabienne Rappeneau, tous droits réservés.

“Je préfère que le public s’évade, puisse savourer les nuances de cette grande époque tout en s’identifiant pleinement à ce couple.” Arnaud Denis.

Le public n’est jamais en reste car les sujets abordés sont ceux que chacun rencontre dans sa vie : la recherche de l’amour des autres et de la personne aimée,  la quête de sens, le désir d’exister et d’être reconnu ou encore la peur de vieillir et celle de l’abandon.

Savoisien nous offre un texte d’une puissance formidable auquel Arnaud Denis a su donner un écrin qu’Anne Bouvier et Christophe De Mareuil ont réussi à habiter pour notre plus grand plaisir.

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