Ivo Van Hove met en scène “Les Damnés” pour nous offrir un moment intense de théâtre

Jusqu’au 2 juin  s’est joué Les Damnés, une pièce montée par Ivo Van Hove d’après le scénario du film écrit par Luchino Visconti, Nicola Badalucco et Enrico Medioli. Le spectacle a été créé en 2016 au festival d’Avignon et il est de retour sur les planches de la salle Richelieu à la Comédie Française pour quelques dates. Avant d’aller plus en avant, rappelons le cadre dans lequel l’histoire prend place.

1933, quelque part en Allemagne, une famille est sur le point de se déchirer suite à l’accession au pouvoir d’Adolf Hitler. Cette famille est celle des Essenbeck, dynastie dont la fortune repose sur l’industrie lourde et notamment celle de l’armement. Interprété par Didier Sandre, le baron Joachim Von Essenbeck est le patriarche de la famille et le président de l’entreprise éponyme. Depuis plusieurs décennies, il fait tout ce qui est en son pouvoir pour faire prospérer l’entreprise familiale et maintenir son rang dans la société allemande. Mais voilà, les événements politiques vont bouleverser cette stabilité apparente et mener la famille à une implosion totale, apocalyptique.

© Juliette Parisot

La première partie de la pièce prend le temps de présenter les protagonistes, leurs histoires, leurs positions dans la famille et dans l’entreprise. Ivo Van Hove recourt à la caméra portée (projetée en direct) afin que le public apprécie au mieux les mimiques de chaque personnage. Les tensions sont telles que déjà, nous comprenons que la partie qui va se jouer devant nos yeux n’aura qu’un seul vainqueur. Les alliances entre clans se construisent aussi rapidement qu’elles s’évanouissent. Très tôt, un certain malaise s’installe à la vue d’un salut nazi affirmé et réitéré,  à l’écoute (très fort) d’un discours d’Hitler ou au simple claquement des bottes de cuir. En fond sonore, deux des petites-filles Essenbeck jouant à cache-cache comptent le temps, rythmant la pièce, comme une sorte de minuteur avant que la mort ne frappe.

Lorsque le patriarche meurt, le château de carte s’écroule. La famille Essenbeck entre dans un tourbillon sordide et machiavélique  alimenté par les pires manipulations familiales. Nous assistons à un jeu de dupe dans lequel personne ne l’est vraiment. C’est finalement Martin Von Essenbeck, interprété par le formidable Christophe Montenez, qui va prendre les rennes de la famille. Personnage d’abord en retrait, bouffi d’angoisse et nourrissant une haine infinie contre sa manipulatrice de mère, Martin va mener la partie de bout en bout, dans l’ombre. Parallèlement, son beau-père Friedrich Bruckmann, le directeur des entreprises Essenbeck (interprété par l’immense Guillaume Gallienne) et conjoint de Sophie Von Essenbeck (Elsa Lepoivre), , va tout faire pour évincer l’héritier désigné.

© Jan Verswevyeld

Les scènes macabres et violentes dans les mots s’enchaînent. En effet, la mort rôde en permanence sur le plateau, emportant un à un les membres de la famille au cercueil.  La scène de l’orgie des S.A. à laquelle participe Konstantin Von Essenbeck (Denis Podalydès) est celle qui a retenue notre attention : chants hurlés, mouvements saccadées et musique se mélangent dans un déluge de folie. Les deux comédiens au plateau suffoquent, le public est cramponné aux fauteuils.  La scène se termine en véritable et effroyable bain de sang. La morbidité exprimée nous prend aux tripes, comme si nous avions l’impression de participer au massacre.

© Jan Verswevyeld

Le parti pris d’Ivo Van Hove dans la mise en scène est sciemment orienté vers la violence des actes et des corps. La mise à nu des comédiens participe à la fois au malaise ambiant et au dépouillement de chacun devant la mort.

Finalement, c’est à une tragédie grecque à laquelle nous assistons. Martin Von Essenbeck, matricide libéré de ses démons, occupe tout l’espace. L’horreur atteint son comble dans la scène finale lorsque Christophe Montenez se transforme en monstre, s’enduisant le corps des cendres de ses proches disparus les uns après les autres. Un épilogue d’une beauté époustouflante.

 

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