Lors des 33ème Médiévales de Bayeux, le public a pu découvrir au détour des rues et des ruelles de la ville la déambulation des deux faunes de la compagnie Arteflammes. Un peu avant le début des festivités, nous avons rencontré Manon et Anatole, les interprètes de ces deux créatures échassières, qui ont pris le temps de nous raconter l’histoire de la compagnie et de cette création présentée à Bayeux.
La compagnie Arteflammes est une toute jeune compagnie, née il y a environ un an et demi, comme nous le raconte Anatole : « Au début, elle a été créée à l’initiative trois artistes et trois personnes attachées au milieu artistique. Pour les artistes, il y avait Marine, Jérôme et moi, jongleuse, magicien, et moi, qui suis aussi jongleur. Rémi, un ami saxophoniste, est devenu le trésorier de l’association. Un autre, très attaché à l’univers du jeu, du jeu de rôles, du théâtre en général, est président, et ma chérie, Sandy, secrétaire, jusqu’à finalement évoluer jusqu’à un rôle d’artiste pour faire certaines prestations avec nous. Manon, qui est avec moi à Bayeux, a rejoint la compagnie en début d’année, le temps de mettre en place tous les détails au niveau des costumes et de se former un petit peu ». La jeune compagnie se laisse le temps de grandir, sans brûler les étapes, en voulant maintenir le cap qu’ils se sont fixés. « On a commencé sur des formations en petit nombre, deux ou trois. Aujourd’hui, on monte à quatre personnes avec des personnes assorties. On va petit à petit augmenter le nombre d’artistes, en essayant de garder une cohérence dans ce qu’on fait ».
Pour Anatole, si Arteflammes est sa première compagnie, elle ne signifie pas pour autant ses débuts dans le milieu artistique. Il nous raconte son parcours, sans détours. « Cela fait treize ans que je fais du jonglage de feu. J’ai fait des études de droit, qui ne m’ont pas amené très loin. J’ai travaillé dans les casinos de jeu. Quand j’en ai eu marre, j’ai quitté ce milieu, j’ai fait en sorte de faire des formations avec Pôle Emploi, et pendant ce temps, j’ai étoffé mon réseau, qui était déjà un peu créé. Cela m’a permis de pouvoir me lancer et de vivre uniquement du spectacle. Le problème du spectacle de feu, c’est que cela ne passe pas partout, c’est compliqué de faire rentrer le feu dans certains événements. En parallèle, j’ai donc développé l’activité d’échassier pour pouvoir compléter le feu ». Manon, quant à elle, est « plutôt dans le milieu artisanal, qui rejoint l’univers artistique. Je fais du costume ». Rien d’étonnant, alors, quand ils nous racontent un peu plus tard qu’elle a elle-même créé le costume de faune qu’elle arborait ce week-end à Bayeux.
Tout au long du week-end, les deux artistes ont déambulé dans les ruelles de la ville historique, perchés sur leurs échasses. Là où beaucoup de déambulations prennent presque systématiquement le parti d’y ajouter de la musique, celle-ci se fait sans bruit, juste celui de leurs échasses qui martèlent le pavé. On ne les entend pas arriver, seuls les commentaires du public, saluant la beauté des costumes, les précèdent. Ils interpellent par leur élégance. Leurs costumes, en effet, font la part belle aux détails, aux finitions perfectionnées. On les découvre sautillant, courant, dansant, chapardant les casquettes et autres effets personnels du public, ouvrant le dialogue avec les spectateurs, sans perdre leurs petits airs mutins.
Anatole nous raconte la création de cette déambulation. « On a créé cette déambulation un peu après les débuts de la compagnie. Mon premier personnage sur échasses, c’était un pirate, avec les mêmes échasses, qui sont donc des échasses urbaines qui permettent de rebondir, de sauter. J’avais d’abord customisé les échasses façon steampunk. Mon pirate avait donc une jambe de bois, articulée en métal. Quand on voit les échasses, elles ont vraiment une forme atypique, avec une sorte de « V » à l’arrière de la jambe. Le faune, c’est un personnage que j’aime beaucoup. C’est ça qui m’a permis de me lancer rapidement, parce que j’avais déjà l’architecture de la jambe qui était créée. Ensuite, j’ai fait un peu de recherche sur les costumes, on a fait créer la première armure, la mienne initialement. On a créé les pantalons, j’ai fait les sabots, les bâtons, et les différents accessoires. Petit à petit, on a fait créer une armure pour Sandy qui est entrée sur les déambulations. Manon a fait la sienne et on a fait faire la quatrième pour le dernier faune, qui lui est musicien ».
Depuis sa création, cette déambulation a déjà beaucoup évolué. D’un format restreint, ils peuvent désormais se présenter au public à quatre faunes. À Bayeux, ils n’étaient que deux, puisque la version en quatuor n’a été finalisé qu’il y a un mois et demi. « Pour l’avenir, on va essayer de faire des prestations à quatre, parce que cela fait plus d’interaction, plus de volume, c’est plus sympa. Sur des petits budgets, on pourra se restreindre à deux ou trois ».
Le choix du faune ne tient pas au hasard. Ce personnage, depuis longtemps, passionne et interpelle Anatole. « J’ai travaillé dans une boite qui s’appelle Rêves Et Veillées, qui fait de l’animation pour enfants sous forme de jeu de rôles grandeur nature. Nous, les encadrants, on était souvent amené à jouer des personnages, et parmi ceux-là, il y avait le satyre, le faune qui était une sorte de prince de la forêt. Ce faune avait plein de caractéristiques que j’aime bien : il est taquet, un peu dragueur, un peu chapardeur, à la fois mystérieux aussi. Ce sont des choses qui rentrent bien sur une déambulation. C’est un personnage qui aime bien danser, qui aime bien faire la fête. Les échasses nous permettent de sauter, de danser, de courir. On est très mobile avec. C’est un personnage qui est très attaché à la nature aussi. C’est une valeur qui nous tient vraiment à cœur, la défense des espaces verts… En déambulation, on a des petits sachets de graines mélangées distribuer aux gens et les inciter à les planter. Ce sont plein de petites choses qui nous ont amené vers ce personnage ».
Pour l’esthétique, saluée par bon nombre de spectateurs durant le week-end, Anatole avait « vraiment envie de lui créer un habit ». « Pour moi, c’était important de rappeler la forêt dans cet habit. C’est du cuir, effectivement, mais toutes les parties de l’armure sont en forme de feuille. On a chacun notre feuille spécifique. Manon a les siennes, notre musicien a quelque chose qui ressemble plus à de la feuille de lierre. Chaque faune a une teinte un peu différente aussi. On pourrait presque avoir l’impression d’avoir les quatre saisons quand on est tous les quatre. Il n’y a pas de sources historiques, ni dans la pop culture parce que les rares faunes que l’on voit dans Narnia ou dans Le Labyrinthe de Pan ne sont pas du tout proches de ça. C’est vraiment quelque chose qui est sorti de ma tête. J’ai cherché, cherché, cherché pour trouver ce qui me plaisait, et une fois que j’ai trouvé, on s’est dit qu’on avait le modèle et qu’on pouvait le décliner ».
Pour les deux artistes, la déambulation permet de créer un contact particulier avec le public, comme nous l’explique Manon : « Quand tu vois les enfants et les adultes, parfois, les choses se mélangent. Un enfant va parfois réagir comme un adulte, et un adulte, comme un enfant. Il y a vraiment de très belles choses qui se passent dans ces moments-là ». Anatole porte un regard pragmatique sur la question, avec la lucidité qui le caractérise quand il parle de ses projets. « C’est aussi une formule qui donne beaucoup d’autonomie. J’ai commencé en faune la première année tout seul. Il fallait que je puisse me costumer seul. Il ne fallait pas que j’ai énormément de matériel à transporter ou à monter. Dès qu’on arrive avec une scène, avec une sonorisation, c’est autre chose. On le fait sur les spectacles de feu. Là, on est en fixe, on sonorise, on installe quelque chose d’un peu plus gros. Sur les déambulations, je voulais vraiment quelque chose que je puisse emporter partout. Le faune n’a pas de prothèse en latex, pour lesquelles il aurait fallu faire des raccords, pas de maquillage lourd ou de bodypainting comme certaines compagnies. On est parti sur quelque chose de très naturel, parce qu’on voulait rester là-dessus, et à la fois quelque chose qui soit facile à mettre en place. Bien sur, il y a quand même un certain temps de costumage. Quand on est quatre, on doit s’aider les uns les autres, mais initialement, c’était pensé comme ça ». Et bien que ni la compagnie, ni la déambulation ne soit très vieille, les artistes de la compagnie ont déjà pris le temps de la retravailler pour continuer à l’améliorer. « Le costume a bien évolué depuis la première année. Il y a peut-être que l’armure qui n’a pas changé. On a refait entièrement les fourrures, les sabots vont être refaits rapidement, on a refait les cornes, on a retravaillé les coiffures. Toujours un peu perfectionnistes ! On veut toujours un petit peu mieux ! ».
Anatole, dans ses propos, est aussi pragmatique qu’extrêmement clairvoyant sur le milieu dans lequel il a choisi d’évoluer. Ainsi, il nous raconte pourquoi il a choisi de ne pas se limiter aux spectacles de feu, l’un de ses domaines de prédilection. « Il y a pas mal d’événements qui nous disent qu’on les intéresse pour la déambulation en faune, mais qu’ils ne veulent pas de feu, parce que cela fait peur, parce qu’ils n’ont pas les autorisations. Au départ, c’est donc pour une raison pragmatique, c’est-à-dire que si je ne fais que du feu, je pourrais difficilement en vivre seul. Avec du recul, le physique souffre quand même, quand on fait du spectacle de feu. Ne pas faire que ça, ce n’est pas plus mal ! ».
Et si cette jeune compagnie vogue déjà entre les faunes, les pirates, et les spectacles de feu, leur appétit de création est loin d’atteindre la satiété. Des idées, ils en ont plein, des envies, encore plus. Anatole nous raconte les prochaines nouveautés de la compagnie. « En ce moment, à l’atelier, il y a des costumes de lutins qui sont en place, avec un haut en tissu, accessoires en cuir, peut-être chaussures en cuir si on arrive à le mettre en place. Sur les grosses déambulations, on pourrait être quatre faunes et quatre lutins, lutins au sol, faunes en échasses. Là, on peut imaginer un musicien, un magicien, un acrobate, un jongleur dans les lutins…donc quelque chose de super complet ! On a aussi envie d’avoir deux faunes et deux lutins, ou comme on sera quatre, peut-être changer en cours de journée… ». Entre les spectacles de feu et les déambulations, nul doute que vous recroiserez forcément Arteflammes !