Le week-end dernier, Bayeux a vécu au rythme des 33ème Médiévales. L’événement, véritable temps fort dans la saison culturelle de la ville, a proposé, comme chaque année, une programmation de qualité, orchestrée par le service d’action culturelle, en lien avec l’Association pour l’Histoire Vivante (ApHV). À cette occasion, nous avons rencontré Blek, l’un des salariés de cette association, afin de mieux appréhender l’envers du décor et les rouages de cette grande machine.
Si Blek travaille beaucoup pour l’ApHV, elle n’est cependant pas son unique employeur, comme il nous l’explique en présentant les missions de l’association. « C’est mon principal employeur avec qui j’ai de bonnes relations depuis 2007, où on a commencé à travailler ensemble. Cela fait douze ans qu’on travaille en collaboration. Elle a une activité d’organisation de manifestations, elle est spécialisée dans l’organisation des marchés à thème historique et du spectacle qui va autour. Elle fait aussi du conseil en cinéma, en télé, sur des émissions qu’on a pu tous voir avec Stéphane Bern ou Patrick Poivre d’Arvor. Elle fournit le matériel humain et physique ».
Sur les Médiévales de Bayeux, l’ApHV s’occupe de la partie artistique de la fête. « Comme à Provins, on ne touche pas au marché. L’ApHV peut gérer soit le marché, soit l’artistique, ou les deux. Sur Bayeux, la gestion n’est liée qu’à l’artistique, que ce soit les camps d’animation, les spectacles, les concerts et les déambulations. L’équipe de régie qui est en place ici représente cinq salariés et trois bénévoles pour faire en sorte que tout se passe bien et de palier à toute interférence ».
En faisant appel à cette association, le service d’action culturelle de la ville, conduit par Adeline Flambard, s’allie à une équipe dont la connaissance du milieu historique et médiéval est extrêmement pointue. Pourtant, Blek le reconnaît, ils ne peuvent pas être au courant de tout ce qui se fait dans ce milieu artistique. Leur intelligence est aussi de s’appuyer sur les forces vives qui le composent. « On a aussi des gens qui nous font un peu de prescription. C’est aussi l’avantage de ce milieu, qui est plutôt collaboratif. C’est en partie pour ça que j’adore ce métier et que j’y reste. Comparé à tout ce que j’ai pu faire auparavant, où tout le monde est à la chasse au contrat, prêt à écraser les autres, ici, dans ce milieu de la reconstitution historique, on est plus dans la recommandation. L’avantage de l’ApHV, c’est que c’est aussi l’organisateur du Salon Fous d’Histoire en novembre à Compiègne. De fait, beaucoup de compagnies viennent présenter des spectacles, des créations, des nouveautés ». Pour eux, faire de la veille dans ce milieu artistique est tout naturel. Christophe Dargère, responsable de l’association, le fait depuis plus de vingt ans. Blek, quant à lui, a commencé en 1997. « C’est aussi un réflexe de regarder ce qu’il se passe autour, suivant l’envie, suivant le temps et la proximité des événements. On a tous un peu la bougeotte dans l’association ». Il le reconnaît : les heures de route et les kilomètres ont peu d’importance, et chacun les avale au gré des envies pour aller découvrir ce qui se joue sur les différentes fêtes qui quadrillent le territoire.
À Bayeux, dès le lendemain de la fête, l’écho des cornemuses et des tambours à peine taris, toute l’équipe se réunit pour faire le bilan de l’édition qui vient de s’achever. Souvent, les organisateurs ont déjà des idées pour l’année suivante. Christophe Dargère a alors plusieurs mois pour établir une proposition, selon la thématique choisie par la municipalité. En nous racontant cette collaboration, Blek ne tarie pas d’éloges sur le service d’action culturelle de la ville. « Ce qui est intéressant, c’est que les gens de Bayeux, au niveau du service d’action culturelle, sont très investis. Ils vont voir les fêtes médiévales alentour ou sur leurs lieux de vacances. Ils viennent à Compiègne pour voir les créations, les troupes, et même les marchands, parce que des fois, il y a du renouvellement ». Cette bonne connaissance du milieu médiéval permet aussi à la ville, en parallèle des propositions faites par l’ApHV, de manifester ses propres souhaits, et ainsi de lui faire part des compagnies qu’elle aimerait programmer. Outre son cadre sublime et les « deux, trois cailloux intéressants » vantés par Blek en faisant de l’œil à la magnifique cathédrale, celui-ci l’affirme : « Il y a un service d’action culturelle qui prend son métier à cœur, qui fait son métier, contrairement à certaines villes où on nous remet les clés le vendredi pour les reprendre le lundi. Ici, les gens sont investis dans leur travail. Les services techniques sont à fond. Il y a des régisseurs techniques sur l’ensemble des lieux particuliers de la ville, sur lesquels nous sommes aussi. La corrélation d’organisation, de travail, de réaction se fait à une vitesse… Je dois connaître trois autres villes, en tout et pour tout, sur lesquelles j’ai travaillé qui sont dans ce cas là. Une panne électrique, sur une ligne de marchands dans une rue, je n’ai jamais attendu plus de dix minutes avant que ce soit résolu. Des fois, il m’est arrivé d’apprendre une panne électrique, d’arriver sur place, et de voir que c’était déjà réparé. J’adore les gens ici, il y a une vraie réactivité et tout est fait avec le sourire. C’est un confort de travail qui est inégalable. Au niveau de l’accueil, il n’y a rien à dire ».
Au fil des rencontres avec les compagnies, d’année en année, beaucoup nous ont souligné les belles qualités d’accueil offertes par la ville, tant en termes d’organisation que de technique. Blek le confirme : « L’endroit de couchage est bien géré. L’ancienne équipe était déjà très agréable, la nouvelle, on a fait connaissance cette année, ils sont souriants, réactifs, gentils et toujours prêts à proposer des coups de mains pour tout et n’importe quoi. Le catering, il n’y a rien à redire. Il y a un appel à traiteur, mais c’est le personnel de mairie qui fait le service et qui se rend disponible pour ça. S’il y a un problème qui se pose, le référent en rapporte à qui de droit pour pouvoir gérer ça. Même un problème de train ou autre peut être réglé en un temps record ! Dans l’absolu, on pourrait trouver ça normal, mais cela devient un produit d’exception parce que tout le monde n’a pas cette capacité de travail et de réaction. Aujourd’hui, cela se souligne, alors que ce sont juste des gens qui aiment faire leur métier. C’est bien, c’est vraiment bien, et c’est trop agréable de tomber sur des choses comme ça ».
Si Blek salue autant l’engagement de la ville dans ces fêtes, c’est qu’il a une réelle connaissance du milieu, ayant intégré ce réseau depuis longtemps. « Contrairement à beaucoup de gens qui font de l’animation historique, qui considère l’animation comme un moyen d’amener les gens à l’Histoire, moi, c’est plus le contraire. L’Histoire est un moyen d’amener les gens au bon sens ou à la réflexion. Moi, j’ai une formation, entre autres, sur le jeu de société pour intervenir en milieu défavorisé ou en pédo-psychiatrie. Je me suis retrouvé dans une association autour du jeu à travers l’Histoire. Petit à petit, l’association dans laquelle j’étais a commencé à faire des spectacles sur des manifestations. Le nombre de personnes a grossi, on était six au départ, on est monté à quatorze ou quinze. On s’est rendu compte qu’il fallait que quelqu’un gère l’équipe parce que si tout le monde était en relation, n’importe quand, n’importe comment, avec un organisateur, cela ne marchait pas. Il y en avait un qui devait centraliser l’information. On s’est retrouvé sur deux ou trois manifestations, à Bonifacio, à Salon-de-Provence, où les organisateurs étaient débordés par l’événement et où j’ai donné un coup de main à l’organisation générale. Je me suis dit que c’était beaucoup plus rigolo de gérer trois cents personnes plutôt que quinze. Je me suis retrouvé pour ma première régie sur un événement privé avec deux cents intervenants. Cela a été le kiff de ma vie et je me suis dit que j’allais faire ça. Il y a beaucoup plus d’intérêt, d’interactions. Encore une fois, on est dans un milieu qui est quand même plutôt un monde de bisounours par rapport à d’autres milieux que j’ai pu fréquenter ».
Dans ses propos, sous couvert de beaucoup de sourires et de quelques blagues, Blek montre combien il est passionné et engagé dans le travail qui est le sien. Sa bienveillance à l’égard des gens avec lesquels il travaille est sincère. « C’est trop agréable de faciliter la tâche à des gens, de leur permettre de travailler dans de bonnes conditions, d’exercer leur profession ou leur passion dans les meilleures conditions possibles ». Il nous raconte, précisément, en quoi consiste son travail sur le terrain, dans une fête comme celle de Bayeux. Outre le fait de s’assurer que tous les artistes soient au bon endroit, aux bons horaires, il veille à palier à tous les désagréments qui pourraient survenir, tant en terme d’alimentation électrique que d’approvisionnement en eau. « Une bonne partie de mon travail, c’est aussi de faire que mentalement, tout le monde soit bien, qu’il n’y ait pas de contrariété de quelque sorte que ce soit. Une contrariété peut être d’ordre matériel, d’ordre logistique. C’est aussi faire en sorte d’être toujours avec le sourire ». Blek l’explique, être régisseur, c’est aussi « savoir jusqu’où ne pas aller. En tant que régisseur, on sert aussi à faire tampon entre la troupe et l’organisateur. Encore une fois, Bayeux est assez particulière parce que les gens connaissent le milieu du spectacle, savent ce qu’ils peuvent demander à des artistes. Il y a des situations où les organisateurs ne comprennent pas que quand un artiste fait un cachet de 12h, il ne joue pas 12h. Parfois, pour le faire comprendre, il faut beaucoup de diplomatie. Des fois, il y a aussi des artistes qui s’emballent un petit peu sur leur statut, et qui demandent beaucoup. Dans ce cas, il faut leur dire que les conditions sont ainsi, qu’on fait au mieux avec les conditions qui sont disponibles matériellement. C’est aussi faire comprendre que tout le monde doit y mettre du sien, que le but, c’est quand même le public, mais ce n’est pas pour ça qu’il faut accepter n’importe quelle condition. D’un côté comme de l’autre, on a ce rôle de tampon, d’huile dans les rouages. C’est presque plus un rôle de conciliateur qu’autre chose ».
Si l’ApHV travaille à l’organisation d’une vingtaine de fêtes historiques en France, elle apporte aussi volontiers ses conseils aux compagnies de ce milieu. « C’est l’avantage de Fous d’Histoire. Quand les troupes viennent présenter leurs projets, on a aussi un rôle de conseil. C’est un peu prétentieux de dire ça de ma part, mais comme on connait la réalité du terrain, on sait ce qu’il en est. Une troupe que l’on connaissait déjà est arrivée avec un nouveau projet de théâtre de rue, avec un spectacle qui faisait 1h ou 1h10. Après l’avoir vu, on leur a dit que le spectacle était vraiment bien, mais qu’1h10, en rue, c’est impossible à tenir. Le temps d’attention en rue avait été estimé, il y a une quinzaine d’années, à quarante-trois minutes. Aujourd’hui, avec la grande mode des smartphones, quand on est à trente minutes, c’est déjà bien. Face à nos conseils, la compagnie a scindé son spectacle en trois et donne rendez-vous pour la suite à chaque fin de spectacle ». Son expertise dans le domaine permet ainsi à l’ApHV d’apporter un regard extérieur précieux aux compagnies. « C’est arrivé que certaines fois, on dise aux groupes de revoir leur copie. Parfois, ce n’est pas parce qu’elle ne me plait pas, que l’idée n’est pas bonne. Je ne suis pas juge ultime d’un spectacle, mais il y a des manières de jouer, des manières de se placer, des choses qui sont inévitables sur la scène. En théâtre, pour avoir vu pas mal de spectacles et en avoir fait un peu, il y a un B-A-BA. Il y a aussi cette activité de conseil, que l’on fait comme ça, on n’est pas rémunéré pour ça, c’est hors sujet. C’est juste qu’on connait la réalité du terrain ».
Selon les demandes des organisateurs, l’ApHV adapte ses propositions selon les budgets disponibles et selon les choix des compagnies. Ainsi, certains groupes de musique, habitués à jouer des concerts en fixe, refusent désormais de jouer en déambulation. « Il y a des troupes comme les Gras Jambon qui depuis quelques années ont décidé de ne plus faire de déambulation et de faire uniquement du spectacle fixe. Dans ce cas, on sait que dans le cadre du budget de la manifestation, si on n’a pas les moyens de prendre un groupe pour de la déambulation et un pour du fixe, on n’ira pas faire appel aux Gras Jambon. Si on a les moyens pour faire un concert et avoir une autre troupe dédié à la déambulation, alors on les appellera. C’est vu avec l’organisateur, son budget, ses envies, et les possibilités selon les tarifs des troupes ».
En écoutant Blek, nul doute possible, il connait et maîtrise extrêmement bien le paysage des compagnies dans ce réseau des fêtes médiévales. S’appuyant sur sa solide expérience, nous l’interrogeons sur les évolutions de ce milieu artistique. « Il y a toujours des vagues, dans les spectacles, dans la musique. Il y a toujours un moment où cela va stagner, dans le creux de la vague. Les groupes de musique ou les troupes de théâtre vont faire un peu la même chose. Et puis un petit nouveau va arriver, un groupe de musique, une troupe de théâtre, avec des choses nouvelles ». Il insiste sur cette énergie, amenée par de nouvelles propositions artistiques, capables de redonner un nouveau souffle au sein du milieu tout entier. Il nous cite l’exemple de la compagnie Sembadelle, programmée cette année à Bayeux et entrée dans le milieu il y a quelques années. « Quand une troupe comme Sembadelle arrive dans le métier, une troupe avec des petits jeunes super motivés et qui viennent du théâtre, les troupes qui ont réussi à faire du théâtre de rue, sans forcément avoir eu une formation, se prennent une claque. Sembadelle a fait beaucoup de bien au théâtre de rue dans le milieu du médiéval ». Il en est de même avec la compagnie Afag (Au Fond à Gauche), découverte à Compiègne l’an dernier. « C’est une énergie de théâtre, dans la rue, avec des gens qui savent très bien où ils sont. Ils amènent une nouvelle énergie qui fait réagir tout ça ». Dans le domaine de la musique, les choses se déroulent de manière similaire. « Un groupe de musique comme Soñj, qui a débarqué dans le milieu médiéval, avec des musiques traditionnelles connues, et qui va en chercher d’autres, a fait beaucoup de bien ».
Le paysage des fêtes a également changé dans la constitution des compagnies qui le composent. « En vingt ans, les grandes compagnies, qui venaient à vingt, vingt-cinq intervenants, tous intermittents, ont disparu. Aujourd’hui, c’est impossible de trouver le budget pour des compagnies de cet ordre-là. Les seuls que je connaisse qui arrivent à vendre des dates avec quasiment dix personnes, c’est Armutan. Cette époque des gros budgets pour les fêtes médiévales, on ne l’a plus. Aujourd’hui, venir avec un groupe de musique à six ou sept personnes, c’est compliqué à vendre… ». Alors même si les compagnies d’hier ne sont plus celles d’aujourd’hui, et que ce milieu connait et connaitra encore le mouvement des vagues décrit par Blek, il y a fort à parier qu’il nous réservera encore autant de belles surprises que de surprenantes découvertes, grâce à la créativité, à la passion et à l’engagement de ceux qui œuvrent pour faire exister ces fêtes, dans l’ombre comme dans la lumière.