Après avoir couvert les Médiévales de Bayeux et de Provins, cet été 2020 devait être pour Le Spot l’occasion d’aller enfin à la rencontre de la Fête des Remparts de Dinan, qui devait se tenir les 18 et 19 juillet, avec un prélude les 16 et 17 juillet, afin de découvrir cet événement majeur au sein des fêtes historiques. Face à la pandémie actuelle, les organisateurs de cette biennale ont opté, non pour une annulation, mais plutôt pour un report de cette édition aux 24 et 25 juillet, en conservant un prélude les 22 et 23 juillet 2021. Alors, à défaut d’interviewer les compagnies programmées, à défaut de témoigner de l’ambiance de cette fête et de la qualité de sa programmation, à défaut de la vivre pleinement tout autant que le public l’espérait, nous avons choisi de donner la parole à deux membres de l’équipe d’organisation, Nathalie Bidan, coordinatrice événementiel, et Nicolas Vautier, adjoint de direction, pour mieux comprendre le choix de ce report, et la manière dont il se déroule.
Si, pour le moment, l’État n’a interdit les rassemblements et festivals que jusqu’au 15 juillet, les annulations d’événements devant se tenir à des dates postérieures ont pourtant été légions ces derniers jours. L’allocution du Président de la République a conforté Nathalie et Nicolas dans l’idée que cet été 2020 ne serait pas comme les autres, et qu’il serait difficile d’organiser des festivités dans ces conditions. « Les rassemblements ont été interdits ‘au moins’ jusqu’à la mi-juillet, ce qui laissait entendre que cette interdiction se prolongerait de toute façon. En tout cas, il devenait plus qu’évident que nous ne pourrions pas rassembler dès le lendemain, 16 juillet, deux milliers de visiteurs sur nos joutes et trois jours après, plus de 100 000 sur l’ensemble du weekend. Il était dangereux de continuer à engager des frais et surtout faire croire à tous nos visiteurs et partenaires que la Fête aurait lieu en sachant pertinemment que le risque était si important. »

Au-delà de l’autorisation d’avoir lieu ou non, la question était également de savoir dans quelle condition se tiendrait la fête, si les rassemblements étaient à nouveau permis. « Notre responsabilité d’organisateur nous a fait nous poser énormément de questions à ce sujet. Même si nous avions la plus grande envie de trouver des solutions, il a fallu se rendre à l’évidence : si nous avions eu l’autorisation, nous n’aurions probablement pas eu les moyens de répondre à toutes les nouvelles contraintes ». À l’instar de nombreux professionnels du spectacle, les organisateurs de la Fête des Remparts ont anticipé les demandes qui auraient pu leur être faites. « Files d’attentes avec plus d’un mètre entre chaque spectateur, suppression de places assises en gradins, gels hydro alcooliques et masques pour tous, ouverture partielle de certaines zones, jauge maximum sur sites, etc. Il nous aurait été impossible de respecter toutes ces contraintes et nous sommes persuadés que le public aurait également été réticent à l’idée de vivre une “Fête” de cette manière. ». Déjà difficile à mettre en place, ce scénario aurait offert une édition en demi-teinte au public habitué de l’événement. On peine à imaginer une fête médiévale sans les scènes de liesse que nous leur connaissons, sans la foule massée devant chaque spectacle de rue…
Alors, sans restriction officielle à ce jour sur la période concernée, l’équipe d’organisation a choisi de prendre elle-même la décision qui s’imposait. « Chacun des organisateurs d’événements attendait que l’État puisse s’engager à interdire les rassemblements, afin de faire jouer le cas de force majeure auprès des contrats engagés ; il l’a fait jusqu’au 15 juillet. Il est vrai que nous attendions beaucoup des annonces du Gouvernement… celles-ci se font encore attendre, notamment pour les organisateurs qui gèrent des manifestations après cette date fatidique. Là où des fonds de soutien sont déployés pour nombre de structures, les organisateurs de festivals culturels ont eu le droit à une adresse email pour gérer la crise. Heureusement, plusieurs collectivités territoriales et locales nous ont assuré leur soutien. »

Si l’annonce du report de cette édition en 2021 a eu lieu le 16 avril, les organisateurs ont réfléchi à toutes les options possibles, bien en amont. Dès début mars, toutes les dépenses ont été gelées dans l’attente d’une meilleure visibilité sur la faisabilité de la Fête. « Nous avons engagé un système de télétravail avant même les mesures de confinement mises en place par le gouvernement. Durant tout ce temps, nous sommes constamment restés en lien avec les compagnies programmées. Nous étions en contact avec une cinquantaine de compagnies ou associations, proposant des spectacles sur site correspondant à notre thématique, ‘’Le Moyen Âge à tous les temps’’. D’autres compagnies, proposant des spectacles en off, étaient également en cours de contact. ». Durant tout le mois de mars, le malaise était croissant, face au silence de leurs interlocuteurs et aux questions qui se posaient, si la Fête pouvait effectivement avoir lieu. « La billetterie en ligne est au point mort, les contacts avec nos prestataires et partenaires quasi-inexistants. Plus nous avancions dans le temps, plus il devenait clair que nous ne pourrions pas mettre en place l’ensemble des composantes en si peu de temps : la Fête des Remparts est dirigée par une association, majoritairement composée de bénévoles, accompagnés de deux salariés. Nous faisons participer une trentaine d’associations locales pour la gestion de différents points sur l’événement (accueils, ventes, contrôles…). Nous avions besoin de temps pour rassembler les 700 bénévoles, 850 artistes, 140 échoppes d’artisans, gérer les tavernes, les terrasses en plein-air, recontacter 150 partenaires financiers, techniques et logistiques… et ce temps commençait à manquer cruellement ».
Dans la première quinzaine d’avril, l’assemblée générale de l’association, point de lancement officiel pour toutes les parties prenantes de l’événement, a du être reportée. De même, la décision a été prise de ne pas dévoiler la programmation à la date initialement prévue, sans savoir quand elle pourrait avoir lieu tant le doute continuait à planer, et plus encore, à s’intensifier. « Nous étions bien conscients de l’inquiétude de ces compagnies de théâtre, de musique, associations de reconstitutions, créateurs d’ateliers ludiques pour enfants, conférenciers… et de l’ensemble des artisans et producteurs sur notre marché… Nous savions leur besoin de savoir ce qu’il adviendrait de la Fête des Remparts cet été. Les questionnements légitimes ont fait place à une certaine angoisse quant à l’avenir. Il fallait donc se décider rapidement, pour permettre à tous (visiteurs, professionnels, partenaires de communication, partenaires financiers, commerçants…) d’obtenir une réponse et une lisibilité. »

Loin d’avancer tête baissée, dans la précipitation, les organisateurs de la Fête des Remparts ont pris le temps de réfléchir aux solutions possibles, en observant aussi ce qui se jouait autour d’eux. « Nous avons commencé par nous renseigner auprès des autres manifestations culturelles, de musiques actuelles ou à caractère médiéval, en région et dans la France entière, pour avoir une idée de ce qui pouvait se dessiner chez les autres aussi. Nous avons ensuite travaillé sur une estimation concrète des risques si nous maintenions la Fête des Remparts, que nous avons présentée en bureau de l’association. En parallèle, nous avons joint l’ensemble des prestataires pour lesquels nous avions engagé des bons de commande : beaucoup de communication (affichistes, radios, presse écrite, …) et quelques parties techniques et sécuritaires. En relation constante avec les autorités locales, – sous-préfecture et mairie – pour suivre l’avancée des recommandations, le bureau de l’association a sollicité son conseil d’administration pour prendre la décision après avoir pesé le pour et le contre de chaque scénario envisagé. Après plusieurs discussions, un vote par voie électronique s’est tenu pour officialiser un report en juillet 2021. » Lorsque la décision a été prise, les organisateurs ont contacté chaque personne partie prenante de l’événement. « Artisans, troupes, détendeurs de billets d’entrée, bénévoles, partenaires associatifs, financiers, de communication, politiques… Nous souhaitions les prévenir de façon plus “personnelle” de notre décision, avec les modalités du report. Ensuite, le communiqué de presse et les informations sur nos réseaux sociaux furent lancés. »
Comme pour chaque événement ou festival, les conséquences d’un tel report vont avoir un réel impact principalement financier. « Notre association s’autofinance à hauteur de 79 %. 9% nous proviennent de partenariats privés, 12% de subventions publiques. Autant dire que sans fête, pas d’entrées. Certains partenaires publics nous ont d’ores-et-déjà assuré du maintien de leurs subventions. Nous en profitons pour les remercier vivement, ce geste est plus que vital pour nous dans cette économie de secteur déjà très fragile en temps normal. » Face à cette situation sans précédent, certaines collectivités ont en effet choisi de maintenir les subventions octroyées, même si l’événement ne pouvait avoir lieu, contribuant ainsi à donner une bouffée d’oxygène indispensable aux organisateurs de manifestations culturelles. Même si Nathalie et Nicolas reconnaissent qu’il est encore trop tôt pour chiffrer réellement les pertes relatives à cette édition 2020, ils estiment d’ores et déjà qu’elles avoisineront les 70 000€. « Cela aurait pu être quatre fois plus important, mais l’ensemble de nos partenaires ont bien compris la situation et beaucoup n’appliquent pas de pénalités quant aux annulations, un grand merci à eux aussi. »

Au-delà de l’association en elle-même, l’impact sera aussi très fort pour les acteurs locaux. Si le public du festival est majoritairement breton (65% des spectateurs), la Fête des Remparts draine également un public de passionnés venus de la France entière, mais également des touristes étrangers de passage en Bretagne durant la période estivale. Autant de spectateurs qui se logent sur place, notamment dans les campings et hôtels de la région, et qui fréquentent également les restaurants et cafés du secteur. « Nous pensons à tous les restaurateurs, hôteliers, bars et autres commerces qui, en plus de subir un début de saison touristique catastrophique, ne pourront pas compter sur la Fête des Remparts comme tous les deux ans. De plus, notre association milite constamment pour que, dans la mesure du possible, l’ensemble de nos prestataires soient locaux. Cela représente également un manque à gagner pour eux aussi. » Contrairement à l’idée trop répandue que la culture coûte cher, il convient de mesurer toutes les retombées que de tels événements ont à offrir sur les territoires qu’ils animent. L’ensemble des acteurs économiques du territoire de Dinan sont habituellement impactés positivement par une telle manifestation culturelle.
Plutôt qu’une annulation, qui aurait repoussé la prochaine édition à 2022, les organisateurs ont opté pour un report de cette édition au 24 et 25 juillet 2021, avec un prélude les 22 et 23 juillet. « Nous souhaitons garder notre thématique, qui était chère à nos yeux : prendre un peu de recul sur nos fêtes et présenter les différents regards portés sur le Moyen-âge. En effet, la thématique ‘’le Moyen-âge à tous les temps’’ nous permet de faire découvrir les différentes visions du Moyen-âge qui se sont développées au fil des siècles jusqu’à aujourd’hui. » À son annonce, cette thématique avait suscité tout notre intérêt. Là où beaucoup de fêtes médiévales optent pour des thèmes souvent très précis, la Fête des Remparts a choisi ici de prendre de la hauteur et d’explorer le Moyen-âge sous un angle peu commun dans ce type de festivités. La programmation était donc déjà complète, et devait s’articuler autour de trois thèmes d’animation. Le premier axe consiste à aborder le Moyen-âge selon « une vision fantasmée qui s’est développée dès la Renaissance et qui a fait circuler des images – bonnes ou mauvaises – de plus en plus éloignées de la réalité. » Ensuite, il est question d’explorer une « tendance apparue au XIXe siècle, à savoir une recherche de la réhabilitation du Moyen-âge, qui est survenue avec l’engouement pour l’archéologie, le romantisme et la création des Monuments Historiques. ». Des campements peuvent ainsi parler de la médecine au Moyen-âge, faire découvrir un chantier naval, tout en abordant la « redéfinition des peuples ‘barbares’ du Haut Moyen Âge, la musique médiévale telle que les dernières recherches scientifiques nous présentent… ». Enfin, le dernier axe permet de faire un pas de côté, à la recherche d’un univers plus décalé. « Notre 3e thème traite de l’influence que le Moyen Âge apporte à notre société contemporaine. Il s’agit là du site le plus “original”, sortant des sentiers battus. Nous aurions abordé la musique contemporaine avec des sonorités médiévales, du Med’n’ Roll, au slam. Un spectacle, inspiré des jeux vidéo en vogue, nous permettait également d’évoquer de façon inédite les différentes techniques de combat héritées du Moyen Âge. Des campements auraient permis aussi de redécouvrir cette vie de camp et de rappeler le vrai du faux en relatant la mouvance de l’Histoire vivante. »

L’édition 2021 accueillera donc les artistes qui devaient initialement venir animer les ruelles de Dinan en juillet prochain. Pleinement conscients de la fragilité du milieu professionnel dans lequel ils évoluent, et soucieux de respecter leurs interlocuteurs, les organisateurs tentent, autant que possible, d’accompagner dans ce report ceux qui devaient faire vivre la Fête l’été prochain. « Afin de soutenir les professionnels du spectacle vivant, nous avons souhaité généraliser un acompte de 30% sur l’ensemble des contrats professionnels. Nous savons bien que cela sera bien insuffisant pour nos artistes, mais cela implique pour notre association un billet d’environ 40 000€, sans avoir d’entrées pour autant. Nous réfléchissons également pour trouver un moyen de soutenir comme nous le pourrons les artisans qui avaient répondu présents cette année, notamment par le biais de notre site internet qui pourrait servir de plate-forme de contacts, de « marché virtuel » par exemple ».
Et même si la programmation est déjà constituée, et que les artisans sont déjà sélectionnés pour le marché médiéval, Nathalie et Nicolas nous le garantissent, il n’est pas question de s’endormir sur ses lauriers ! « Lors de ce ‘’répit’’ d’un an, nous souhaitons améliorer encore cette édition, cela nous permettra d’améliorer le confort de nos publics, en travaillant plus spécifiquement sur les conditions d’accueil et en repensant l’aménagement des conditions de sécurité. Nous avions également envisagé plusieurs nouveautés pour cette année, cela nous laissera le temps de les préparer au mieux ! ».
Si nous avions espéré vivre cette édition alléchante et pleine de promesses dès juillet, il faudra finalement patienter encore un an avant de la voir s’emparer à nouveau des rues et places de Dinan. Dans ce contexte si particulier, l’équipe d’organisation de la Fête des Remparts a dû tout mettre en œuvre pour assurer autant la sécurité du public, que la stabilité de leur association, tout en accompagnant, autant que possible, les compagnies programmées. Annuler un tel événement, au-delà des conséquences financières, est aussi un coup dur porté à tous ceux qui, tout au long de l’année, sans relâche, déploient une énergie considérable pour développer et faire grandir ces événements qui rythment nos saisons estivales. Nul doute que la Fête des Remparts tiendra bon, et gardera le cap. Nul doute que les artistes, actuellement mis à mal par cette crise sanitaire, relèveront la tête et s’empareront à nouveau des places et des ruelles. Les 24 et 25 juillet 2021, c’est à Dinan qu’il faudra se rendre pour vivre pleinement cette nouvelle édition de la Fête des Remparts qui, nous en sommes sûrs, aura l’intensité et le goût le plus délicieux de toute l’histoire de l’événement !