Après avoir distillé un titre inédit quotidiennement pendant quinze derniers jours, le quintet toulousain Brothers from other fathers a sorti le 15 avril son premier opus, The Lost Siblings, un album dans lequel la country et la folk se conjuguent avec élégance.
Si, de prime abord, la country peut sembler un style musical un peu daté, les Brothers from other fathers prouvent qu’il n’en est rien, et que ces grands standards américains peuvent encore scintiller de leur plus bel éclat, pour peu qu’on les honore avec ce qu’il faut de talent et de subtilité. De subtilité, cet album n’en manque pas. Ces quinze titres forment un savant mélange de titres joyeusement entraînants et de morceaux emprunts de mélancolie. Le juste dosage des uns et des autres fait de ce premier opus un ensemble très hétérogène qui, à coup sûr, réconciliera nombre de mélomanes avec les influences country !
L’album s’ouvre sur Pretty Polly, une ballade folk dans laquelle le quintet annonce la couleur : en première ligne, une voix chaude, tout en velours, et pour l’accompagner, une poignée d’instruments aux sonorités marquées qui font briller leur musicalité tout au long de l’album. La voix de Chloé Spick commence par se poser sur le son du banjo, avant que la basse et le violoncelle entrent dans la danse, multipliant les sons et les textures pour offrir toute son intensité au morceau.
Quelques notes de banjo, et Shady Grove prend place, sûrement l’un des morceaux les plus festifs et entraînants de l’album. On se régale de toute la puissance du refrain, terriblement entêtant, chanté ici en chœur par le quintet. L’album, dans son ensemble, s’appuie sur plusieurs morceaux de cette trempe, à l’énergie irrésistible, souvent soutenus par les chœurs des interprètes. Ainsi, dans Where Moses stood, sur le son d’un tambourin, Chloé donne à sa voix des airs de crooneuse moderne, alors que les chœurs de ses acolytes confèrent au morceau des allures de gospel.
L’album fait également la part belle à des titres dont l’ambiance sonore ne va pas sans rappeler les atmosphères de saloon. Tennessee Stud, seul morceau chanté par une voix masculine, celle de Guillaume Heiser, fait teinter des sonorités d’un autre temps, comme une plongée dans le Far West de westerns bien connus. Dans Further on up the road, la voix de Chloé Spick s’accompagne du piano de Guillaume, et de quelques claquements de doigts. Dans ce morceau, aucun superflu, tout est brut, dénué d’artifice. La belle élégance du morceau se déploie, à la fin, quand le violoncelle d’Elodie Poirier lui offre toute sa noblesse : comme à chaque fois que la voix de Chloé rencontre le violoncelle au sein de cet album, une alchimie délicieuse et saisissante opère, tel un instant de grâce fugace.
Dans The House of the Rising Sun, l’un des morceaux les plus connus de cet album, la voix de Chloé est pleine de délicatesse. La clarté du piano s’entremêle à la gravité du violoncelle, dans un clair-obscur musical. Et alors, ce qui avait commencé dans la douceur se fait plus poignant : la voix de Chloé vient nous saisir à bras le corps, se fait tempête, grandit en vagues successives jusqu’à nous envelopper de toute sa puissance, avant de finalement s’échapper dans un souffle…
Dans une atmosphère bien différente, La Llorana s’ouvre sur le son grave du violoncelle avant que la guimbarde impose un virage, pour transformer le morceau en véritable cavalcade au rythme fiévreux. Seul titre chanté en espagnol, celui-ci reste l’un de ceux qui se singularisent le plus par la qualité de son instrumentation, par l’intensité qui s’en dégage.
Ce premier album des Brothers from other fathers offre quelques précieuses pépites, comme cette étonnante reprise de Wayfaring Stanger. Elodie Poirier laisse son violoncelle chanter toute sa mélancolie, alors que la guitare de Yann Righetti et le banjo de Guillaume Heiser font jaillir quelques notes lumineuses. La voix de Chloé déploie toute sa douceur et sa fragilité, et Wayfaring Stranger devient alors l’éclaircie après la pluie, la lueur scintillante, l’espoir tout proche. En s’attaquant à ce sublime morceau, les Brothers from other fathers ont fait briller sa mélancolie, et ont mis à nu la lumière qu’on ne lui connaissait pas…
L’album se termine sur Pass them by, morceau d’Agnès Obel, dans laquelle la voix de Chloé, pleine de musicalité, comme un murmure au creux de notre oreille, vient danser sur les lignes de basse de Guilhem Puech et sur le violoncelle d’Elodie. Ici encore, les chœurs, tout en subtilité, s’élèvent au-dessus des sons graves de la mélodie. Pass them by est sûrement le morceau le plus délicat, raffiné et passionnant de cet album, tant il nous fait flotter, dans un juste équilibre, entre ciel et terre…
Avec The Lost Siblings, les Brothers from other fathers signent un très bel album. En allant puiser en grande partie au cœur des classiques américains, le quintet réactualise ces morceaux, parfois internationalement connus, pour leur offrir leurs propres sonorités. D’un bout à l’autre, les partis pris du quintet visent juste : le choix du violoncelle apporte une densité et des textures qui enrichissent chaque morceau, le banjo et le piano ancrent tout l’album dans l’univers country qu’ils ont choisi de mettre en lumière, la guitare de Yann Righetti, comme un fil rouge, voyage avec délicatesse d’un morceau à l’autre, la basse accompagne le violoncelle dans ses sons graves et poignants… Et enfin, la voix de Chloé, tour à tour douce, voluptueuse et puissante, incarne le texte, laissant chaque mot s’égrainer pour mieux le faire tinter à nos oreilles… Indéniablement, ce premier album, dont Guilhem Puech a assuré la direction musicale, a de quoi surprendre, enthousiasmer et émouvoir. On ne peut qu’encourager vos oreilles à se prêter au voyage… !
L’album The Lost Siblings est à découvrir ici !
Photos © Rodrigue Laurent Photographie sauf photo n°4 ©Karl Bertrand