Créalid, le théâtre de rue en version loufoque et déjantée !

Dans chaque édition des Médiévales de Provins, la programmation alterne entre les spectacles fixes, où le public est invité à s’installer et profiter du jeu, et les déambulations qui sillonnent la ville tout au long du week-end. Si certaines troupes font des déambulations pour les besoins de la fête, d’autres les érigent en principe de création. C’est le cas de la compagnie Créalid que nous avons rencontré pour mieux découvrir leur univers artistique. Alfred, Sand et Jean-Luc nous ont fait plonger dans leur spectacle déambulatoire, Les Catapultés.

Créalid est une compagnie née en 2002, sous l’impulsion d’Alfred et de Jean-Luc. « On sortait tous les deux d’une autre compagnie, et on a décidé de créer la nôtre » explique Alfred. Avec cette structure, ils montent un festival pour La Défense, à Paris. « On avait déjà travaillé pour eux, et ils nous ont demandé de créer un festival. On a fait ça trois ans de suite, on a fait venir une centaine de compagnies. Au départ, c’était ça, puis ensuite, on a créé nos propres spectacles ». Des spectacles en rue, mais pas que, puisque dans l’histoire de la compagnie, une comédie musicale autour d’Ulysse a également vu le jour. Si l’univers artistique de Créalid est hybride, c’est aussi parce que ses membres viennent tous de milieux différents, comme nous le précise Sand : « Dans Créalid, une partie des comédiens sont comédiens et viennent vraiment du théâtre de scène, une autre partie vient de la comédie musicale, et d’autres viennent de la rue. On est venu à la rue après avoir fait beaucoup de scène. C’est arrivé un peu par hasard pour certains, comme Jean-Luc, qui ne connaissait pas la rue au début ».

Si de nombreuses compagnies programmées à Provins, comme dans tant d’autres fêtes, se produisent majoritairement dans le milieu des fêtes historiques, ce n’est pas le cas de Créalid, dont l’univers artistique ne se limite pas à ces thématiques. « On a eu envie de faire des spectacles médiévaux, mais ce n’était pas une volonté de faire du spectacle médiéval. Nous avons des spectacles médiévaux, et d’autres qui ne le sont pas du tout » explique Alfred. Sand prend le relai, en précisant : « On n’est vraiment pas dans la reconstitution. On est dans le décalage, dans la gaudriole. Le médiéval est un prétexte pour faire passer d’autres messages. On a un autre spectacle, qui s’appelle La Table Gronde, qui parle de la condition  de la femme, des hommes d’Église, des paysans. Cela résonne beaucoup avec des thèmes actuels. Il y a un fond historique, mais ce n’est vraiment pas que ça ».

Pour ces 37e Médiévales de Provins, les trois compères sont venus jouer Les Catapultés. C’est Jean-Luc qui nous raconte la création de ce spectacle, il y a presque douze ans. Face à l’actualité du moment, de l’intervention militaire en Libye, l’idée surgit. « On est parti sur l’idée d’aller envahir un peuple qui n’avait rien demandé à personne. On s’est dit qu’on allait faire la même chose, mais qu’on allait faire à notre manière, mais sans trop faire de référence politique, dans un autre lieu, et autrefois. C’est comme ça qu’on est parti sur l’idée de la Catapulte. On part libérer une citadelle, mais en réalité, dans l’idée de tout défoncer et tout mettre à ras. C’est ensuite parti sur un truc burlesque. Ce n’est pas parti de rien. Les gens qui ont la référence, c’est bien, mais s’ils ne l’ont pas, ce n’est pas grave ».

Chez Créalid, tous les sujets passent par la farce, dans un joyeux univers qui convoque autant Kaamelott que les Monty Python. « Le décalage est vraiment notre marque de fabrique. On joue le décalage à fond, et on utilise beaucoup le public dans nos spectacles » précise Sand. Le dimanche après-midi, alors que la fameuse Catalpulte débarque dans les douves de la citadelle, le personnage de Jean-Luc aux commandes et ses deux acolytes au milieu de la foule, on constate combien ces trois artistes aiment forcer le trait, faire des pas de côtés constants, pour mieux amuser et faire réagir le public. En témoigne ce fameux « serment du chevalier », à l’heure d’enrôler tous les spectateurs pour prendre la citadelle, qui vire, grâce au personnage de Sand, à une version quelque peu décalée, sans queue ni tête, qui laisse le public hilare !

Dans la compagnie, les textes sont travaillés par Jean-Luc, et souvent, la mise en scène également, comme nous l’explique Alfred : « La mise en scène part souvent de Jean-Luc, et ensuite, c’est du travail commun. En répétant, on amène chacun nos idées, en jouant aussi. Les spectacles évoluent beaucoup au fur et à mesure qu’on joue. Même dans les scènes écrites, à certains moments, il y a de l’improvisation qui arrive. Et dans ce cas-là, il y a des choses qu’on garde parce qu’on trouve que c’était drôle, que cela a bien fonctionné, et alors on les inclut vraiment dans les scènes écrites. C’est de cette manière que nos spectacles n’arrêtent pas d’évoluer ».

Si le spectacle fonctionne si bien, au-delà du fait qu’il tourne depuis longtemps, c’est bel et bien parce qu’il a d’abord été créé et conçu pour de la déambulation. « On a deux phases sur Les Catapultés : une phase de déambulation, où on fait de l’improvisation avec les gens, on intervient avec eux, on rebondit sur ce qu’ils disent, et des phases où on s’arrête et où l’on joue des saynètes qui sont écrites et qui durent entre cinq et dix minutes. On a trois saynètes, donc on alterne les déambulations et les saynètes. Le but est vraiment d’alterner improvisation et textes » explique Alfred.  Au milieu du public, ce jeu est palpable. Lorsque la Catapulte s’élance, les échanges fusent entre les comédiens et leurs spectateurs. Pourtant, les versions de ce spectacle ne sont pas toujours les mêmes, comme le précise Sand : « Dans Les Catapultés, on doit avoir cinq ou six saynètes différentes, mais on ne peut pas toutes les jouer, sinon, ce serait trop long. On part en en choisissant trois, et si on s’aperçoit qu’à un endroit, on ne pouvait pas faire une saynète qui était prévue, on change. On s’adapte toujours au lieu et au public. Si le lieu ne permet pas de nous étaler comme on voudrait, on va jouer autre chose. C’est vraiment à géométrie variable ».

Toute leur expérience de la rue s’exprime à travers la manière dont ils envisagent ce spectacle, et ses possibles variations, au fil de la réalité de la fête. Si le schéma classique des Catapultés consiste à alterner les scènes fixes et la déambulation, les trois comédiens s’autorisent à bousculer le scénario, quand ils le jugent pertinent. « Tout à l’heure, on a enchainé les deux saynètes directement, parce qu’on sentait que c’était le moment, que cela s’y prêtait, que le public n’avait pas envie de nous quitter » raconte Alfred. « Le chef d’orchestre, c’est Jean-Luc, mais si on sent que cela s’y prête, avec Alfred, on va se lancer des répliques, toujours dans nos personnages, pour indiquer à Jean-Luc que ce serait bien de rester. Mais on le fait toujours dans nos personnages, sans que le public s’en rende compte » poursuit Sand.

Et c’est en retrouvant ces spectacles, où les artistes s’emparent de la rue et interpellent le public, que l’on mesure combien ces deux années marquées par la pandémie de Covid, où le spectacle vivant a été fragilisé, nous ont privé de ces moments de joie et de partage collectif. Si Créalid a très peu joué, comme toutes les compagnies, en 2020, Jean-Luc précise que 2021 était déjà un peu différente. « La deuxième année, on a joué davantage, beaucoup d’endroits ont remis en œuvre leurs festivals. Pour ma part, je me rends compte que c’est plutôt le public qui est très content de ressortir, de refaire la fête ». Sand enchaine, en repensant à leur retour en rue : « Les toutes premières représentations des Catapultés qu’on a pu faire, on a senti que le public était vraiment content de nous retrouver. Il y a avait une émulation, une joie, un besoin de partager et de retrouver les spectacles. C’était vraiment génial ! La première représentation, c’était vraiment comme lâcher un bouchon de champagne ».

Alors, pour le public de Provins, qui espérait le retour de cet événement depuis deux ans, et qui n’attendait que de se laisser surprendre et alpaguer par les artistes de rue, Créalid s’en est donné à cœur joie pour déployer, avec autant d’esprit que d’humour, son théâtre familial et joyeusement décalé !

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