L’Effet Railleur, le nec plus ultra des 35e Médiévales de Bayeux !

Parmi la belle programmation de leur 35e édition, à plusieurs reprises dans le week-end, les Médiévales de Bayeux ont fait du parvis de l’Hôtel de ville le théâtre de la compagnie L’Effet Railleur. Ses deux acolytes, Claudius et Polo, sont venus y jouer leur spectacle, Goupil ou face, inspiré du Roman de Renart. Entre deux représentations, ces deux artistes à l’univers foisonnant nous ont raconté l’envers du décor de cette création et de leur travail d’artistes !

C’est en 2015 que la compagnie voit le jour, suite à une commande faite à Claudius par les Médiévales d’Andilly. Alors qu’il y donnait des cours pour les jeunes depuis quelques années, l’occasion se présente de créer un spectacle pour cet événement. Comme cela faisait quelques temps que les deux artistes avaient envie de travailler ensemble, le projet se créé, autour de Goupil ou Face. « Claudius donnait des cours dans le milieu médiéval, qu’il connaissait un peu. Moi, je ne connaissais pas du tout, on vient plus du spectacle de rue à la base. La première fois que j’ai rejoint Andilly pour voir un peu cet univers, j’ai halluciné sur le milieu médiéval. En même temps, nous, on n’est pas historien, on n’est pas reconstituteur. On vient plutôt du spectacle de rue, qui a ses codes, son type d’humour. On s’est dit qu’on allait faire du médiéval, mais à notre sauce, en y mettant cet univers très décalé qu’on aime bien dans les arts de la rue. Tout est né d’une carte blanche d’une Médiévale à deux types qui venaient plutôt du spectacle de rue ! » raconte Polo en rigolant. Claudius poursuit : « C’est de cette manière qu’on a créé Goupil ou Face, qui a très vite assez bien marché. Le spectacle a beaucoup évolué entre ce qu’on a créé il y a six ans et ce qui existe maintenant. C’est le tout premier spectacle de la compagnie. Aujourd’hui, on ne doit pas être loin des 300 représentations ».

En découvrant leur spectacle, probablement la découverte la plus étonnante et incroyable de ces Médiévales 2022, l’alchimie qui existe entre les deux artistes semble évidente. Au-delà d’un spectacle bien rodé, on devine une complicité dans le jeu, qui en révèle bien plus sur leur manière d’envisager leur création. « C’est un vrai binôme. On participe tous les deux à peu près autant à toutes les étapes de création. Toute la scénographie, la création et construction de décors, c’est un peu plus Polo qui gère, parce qu’il a plus de compétences que moi en bricolage» confie Claudius. « Tout ce qui est un peu musical, avec les différentes chansons, c’est du ressort de Claudius » poursuit Polo. Pour le reste, l’un et l’autre racontent un véritable processus de co-écriture, dans tous les éléments du spectacle. Quand cette carte blanche leur a été proposée par les Médiévales d’Andilly, les deux artistes se sont interrogés sur le point de départ à adopter. Claudius détaille toutes les réflexions qui se sont alors mises en place. « On n’avait jamais fait de création à partir d’une histoire, comme certains reprennent un Molière. On s’est dit qu’on avait envie de se lancer là-dedans. On a pensé aux contes de Perrault, Le Chat Botté, les contes de Grimm, d’Andersen. On trouvait que ça avait été fait dix mille fois. Et puis on a eu cette idée du Roman de Renart. Déjà, parce que c’est en plein dans la période moyenâgeuse donc cela se justifie tout de suite au niveau des fêtes médiévales, mais aussi parce qu’on pense que ce sont des histoires suffisamment connues, parce que tout le monde l’a plus ou moins lu à l’école, et en même temps, pas tant connues que ça. On a lu plusieurs histoires du Roman de Renart, et celle de Renart et Chantecler nous a plu. Ca nous a sautés aux yeux tous les deux qu’on pouvait mettre du cirque, du jonglage, de l’acrobatie, de l’humour. Il y a plein d’idées qui sont venues à partir d’une histoire de trois pages ».

Le temps de création s’est ensuite déroulé en plusieurs étapes. D’abord, il a fallu trois ou quatre mois durant lesquels Claudius et Polo ont posé les bases, réécrit des textes. Les deux mois suivants ont été des temps au plateau, autour du jeu, des chorégraphies, de l’acrobatie, du jonglage, alors qu’en parallèle, tout le travail de scénographie, de création des décors, de chinage à la recherche des accessoires se mettait en place.  Polo résume : « Au total, le spectacle a été créé en une petite année. On s’y est mis à l’automne, pour le sortir à Andilly, en juin, ce qui est très peu. Il a été créé assez rapidement ».

Tout au long du week-end, L’Effet Railleur a su conquérir son public, comme l’ont prouvé les dizaines et dizaines de spectateurs présents sur les marches et le parvis de l’Hôtel de Ville, à chacune des représentations. Dimanche, à l’issue de la dernière représentation, la foule était debout pour applaudir les deux artistes, après avoir ri et réagi durant toute la durée du spectacle. Si Goupil ou face est aussi efficace, c’est parce qu’il déploie, une heure durant, tout un panel de savoir-faire artistiques, sans jamais aller dans la surenchère. En rue, les deux artistes chantent, jonglent, se font acrobates, multiplient les changements de rôle, enchainent les tirades toutes plus drôles et percutantes les unes que les autres. Le spectacle prend des airs de feu d’artifice, où le public est surpris chaque fois que l’un des artistes sort de derrière le panneau qui fait office de décor, et derrière lequel se déroule tous les changements de rôles et de costumes. C’est véritablement la pluridisciplinarité de ce spectacle qui le rend aussi captivant. Et quand on leur demande si c’était un choix de convier tous leurs savoir-faire dans ce spectacle, les deux compères se complètent. « On est tous les deux très pluridisciplinaire, donc il n’y a pas tous nos savoir-faire dans ce spectacle. Mais est-ce que c’était vraiment un choix… » commence Claudius. « C’était plutôt une évidence. On fait plein de choses, donc on avait envie de les mettre dedans. Au moment où on a lancé ça, dans ma tête, ça allait plutôt être un one shot. C’était une commande, et on n’avait pas prévu de faire plein de spectacles dans le médiéval. Tant qu’à faire, on s’est dit qu’il ne fallait pas garder des cartes dans son jeu ! Mais comme dit Claudius, on n’a pas tout mis dedans. Ma spécialité dans le jonglage, par exemple, c’est le diabolo, et Claudius est un super musicien ». Alors si Goupil ou face ressemble déjà à de la haute voltige dans le théâtre de rue des fêtes médiévales, on imagine à peine ce que donnerait un spectacle qui conjuguerait pleinement et totalement l’entièreté des possibles de ces deux artistes !

Devant le public de Bayeux, Claudius et Polo ont convoqué leurs arts, au service d’une création qui, dans ce milieu, étonne par la durée. Dans les fêtes médiévales, rares sont les spectacles de théâtre qui excèdent trente ou quarante-cinq minutes. L’Effet Railleur, d’entrée de jeu, a fait le pari d’une heure de spectacle, mené tambour battant, fidèle au milieu dont ils sont issus, comme l’explique Polo : « C’est là où ça en dit long sur la manière dont on a débarqué dans le médiéval. Quand je pense un spectacle, je pense une heure. Quand on va au théâtre en salle, ça dure souvent 1h30 ou 2h, dans le milieu des spectacles de rue, on est facilement sur 1h ou 1h15 ». À leur grand étonnement, au début, la plupart des organisateurs leur demandait de couper le spectacle en deux, pour respecter les codes de ces fêtes et s’assurer l’attention du public. « Quand les gens disent que c’est trop long, souvent, ils le justifient avec les enfants. Je leur réponds que les enfants, on les met 2h devant des dessins animés, et ils ne bougent pas. Donc si c’est bon, ils ne bougeront pas, il faut juste les accrocher » précise Polo. Claudius reconnaît que désormais, depuis environ deux ans, ils parviennent systématiquement à imposer ce spectacle, dans sa forme intégrale. Et force est de constater, devant la foule bayeusaine, qu’une heure de spectacle vivant, finement écrite et bien jouée, n’est un obstacle pour aucun spectateur, petits ou grands, aficionados du théâtre de rue ou non !

Pour tout amateur de spectacle vivant, ce qui frappe en découvrant Goupil ou face, c’est justement la qualité de son écriture, la manière dont les scènes s’enchainent, dont le rythme est réfléchi, dont les textes font mouche. « On a tous les deux lu un bouquin auquel on se réfère souvent dans notre travail, qui s’appelle La Dramaturgie d’Yves Lavandier. Il explique que le principe de base de la dramaturgie, c’est un personnage, un objectif, des obstacles. Si l’objectif du personnage est très clair pour le public, et qu’il y a des obstacles, les spectateurs ont envie de savoir » explique Claudius. « Il y a une promesse en permanence. Le livre d’Yves Lavandier explique plein de ressorts, et notamment cette idée de promesse. Pour quasiment tous les films ou les BD, on ne peut pas les arrêter avant la fin, parce qu’on veut savoir ce qu’il y a derrière. À partir du moment où c’est bien construit, et où les obstacles s’enchainent, que la résolution d’un obstacle en crée un suivant, on ne peut pas décrocher. C’est pour ça qu’on est très attentif à la construction de nos spectacles ».

Dans un milieu où beaucoup de compagnies sont arrivées par la reconstitution, par des pratiques amateurs, sans forcément bénéficier d’une solide formation professionnelle, c’est peut-être là que se cache toute la différence apportée par L’Effet Railleur et qui les singularise véritablement. Dans cette compagnie, le souhait de poursuivre la formation, de s’enrichir perpétuellement, revient souvent dans leur propos. « On a fait beaucoup de formation  de jeu d’acteur, et notamment de clown. Il y a un gros travail d’écoute du public. Est-ce qu’il est avec toi ou pas ? Dans le clown, on est vraiment là-dessus. Pendant cinq ou six ans, on a fait beaucoup de clown. Tous les deux, on a fait pendant douze ans des formations professionnelles ponctuelles, et pendant quatre ans, on avait des cours de clown hebdomadaires sur Chambéry, où on faisait venir un prof avec notre compagnie. Il y avait vraiment cette notion de pratique régulière,  comme un musicien qui fait ses gammes. En théâtre, on a des gammes de corps à travailler, des postures. Et au final, c’est un travail qui paye » explique Claudius. Et Polo poursuit : « Une des écoles de clown, dans laquelle on a fait beaucoup de formations, permet de travailler tous les personnages, leurs silhouettes, leurs postures, leur rythmique – à quelle vitesse ils bougent-, leurs voix, et aussi un entrainement sur la manière de réintégrer très vite un autre personnage. À force de pratiquer ça, dans un claquement de doigts, même fatigués, on arrive à rentrer dans chaque personnage, le Renart, le paysan. Cela fait partie des gammes de clown qu’on fait depuis des années ».

Et si Goupil ou face fonctionne aussi bien, c’est aussi parce qu’il a aujourd’hui beaucoup tourné. Claudius reconnaît que le jeu, en représentation, dans les premiers temps, fait aussi parti du processus de création. « On aime considérer que quand un spectacle sort, il n’est pas encore fini. Quand on le présente, la première année, les vingt ou trente premières représentations, on a tendance à la considérer comme un temps de rodage. Sur la première année, on va faire quatre ou cinq représentations, puis on va retravailler une semaine sur le spectacle, on va refaire quatre ou cinq représentations, puis reprendre une semaine. À la fin, on ne prend plus que deux ou trois jours, mais on affine des choses, on enlève des scènes, en rallonger d’autres ». Pour Polo, ces temps de reprise du spectacle permettent de peaufiner le rythme du spectacle, de mesurer les moments où il faut accélérer, ou ceux sur lesquels il est nécessaire de prendre plus de temps.

Quand Polo parle de la manière dont il vit les représentations, il prend tout à coup la métaphore du surf, qui, en ayant vu leur travail, semble effectivement l’image parfaite. « Tu commences à lancer un truc, tu rames un peu au début, et ensuite, quand tu es sur la vague, il ne faut pas la perdre, il faut tenir en équilibre, sur l’énergie que le public te renvoie. Si tu accélères trop, tu tombes, alors il faut repagayer. Mais dès que tu as bien pagayé, que ça se marre, il faut tirer le fil, ne pas perdre l’énergie, ne pas y aller en force, mais sans la laisser retomber non plus ». À travers cette métaphore et la manière dont il la décrit, on devine l’analyse fine que les deux artistes font de leur travail, au contact du public. En ayant assisté à deux représentations, le samedi et le dimanche, on note les différences. Claudius et Polo sont des artistes de spectacle vivant, alors tout est mouvant. La réplique qui a fait rire la veille a suscité peu de réactions le lendemain, le passage d’un spectateur devant l’espace de jeu génère une improvisation des deux comédiens, tel passage qui était assez furtif un jour semble s’étoffer le lendemain alors que les deux artistes se renvoient la balle. Chez eux, la géométrie est variable, tout se compose et se recompose, au fil de l’auditoire présent face à eux. « C’est quelque chose qui me passionne assez fort : quand on est devant mille personnes dans la rue ou devant vingt-cinq en salle, tu ne joues plus du tout de la même manière. Si tu ne joues que devant des enfants, dans une représentation scolaire, tu ne vas pas jouer de la même manière qu’à Aurillac, devant des punks à 22h ! Le jeu s’adapte vraiment au public » reconnait Claudius.

Si dans toute programmation de festival, il y a toujours un diamant brut qui se dégage, cette année, à notre sens, c’est bel et bien L’Effet Railleur qui s’est octroyé cette place. Nul doute que le fait qu’ils viennent avant tout du théâtre de rue offre un nouveau souffle, dans l’univers des fêtes médiévales. Plus le bagage est vaste, plus l’étendue des possibles est immense. Et ces possibles, Claudius et Polo les explorent et les exploitent avec brio. Qu’il en faut du talent, pour faire rire de cette manière, qu’il en faut de l’intelligence artistique, pour mener à bien un spectacle d’une heure qui, d’un bout à l’heure, tiendra les spectateurs en haleine, en conjuguant les arts, sans jamais tomber dans le démonstratif. Tout est au service du spectacle, sans jamais basculer dans l’excès. Dans Goupil ou face, tout est lié, rien n’est superflu. Sous l’apparente simplicité de sa forme, le spectacle déploie pourtant une créativité, une inventivité et un sens de l’écriture et de l’interprétation qu’on a rarement vu dans les fêtes médiévales. Désormais, il ne reste plus qu’à espérer créer des ponts, et découvrir prochainement les spectacles de ces deux joyeux artistes hors du réseau médiéval. On parie déjà qu’il y aurait encore tant à en dire… !

 

Toutes les informations sur L’Effet Railleur sont disponibles sur leur site !

Contact booking : Romane Bossy – diffusion/production – 07 67 60 87 64 / diffusion.spectacles@mixarts.org

 

 

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