Quand on choisit de donner la parole aux compagnies de spectacle vivant qui peuplent le réseau des fêtes médiévales, on rencontre régulièrement des artistes qui l’animent depuis des dizaines d’années. Et à l’inverse, de temps en temps, de jeunes compagnies émergent, et viennent faire leur premier pas dans ce réseau très fourni en France. Lors des Médiévales de Bayeux, la compagnie Vaporium, composée de Tyo, Jen et Luciole, est venue s’emparer des ruelles de la ville avec leur nouvelle création, Les Dahutanes. À cette occasion, ces jeunes artistes nous ont raconté la création de cette déambulation et tout le processus de travail en trio.
Si Vaporium, créée en 2017, est aujourd’hui composée de trois artistes, ce n’était pas le cas à ses tous débuts, comme l’explique Tyo : « À la base, j’étais parti sur un projet solo, et j’avais besoin d’une costumière, que j’ai rencontré en la personne de Jen. On a lancé l’aventure, on est parti à deux, et voyant que ça marchait bien, on s’est dit que ce serait bien de devenir une vraie compagnie. On a recruté une troisième personne, qui a tourné un an et demi avec nous, mais qui n’a pas pu continuer ». C’est alors que Luciole les rejoints, pour arriver au trio tel qu’il existe aujourd’hui.
En introduction, Jen résume l’activité de la compagnie, en quelques mots. « C’est une compagnie qui travaille sur le thème de l’hybridation animale, avec échasses et spectacle de feu, toujours dans un univers fantastique et très mystique, un peu sombre et terrifiant des fois, c’est vrai ! ». Et Tyo complète « On a une déambulation qui est volontairement faite pour faire peur, on en a une qui est un peu entre deux, et ensuite, les Dahutanes et Wonderland sont plutôt joviales et sympathiques ».
Si à Bayeux, les trois artistes sont venus présenter le projet des Dahutanes, une déambulation sur échasses, l’autre versant de leur activité concerne avant tout le spectacle de feu. « À la base, on est jongleur de feu. C’est notre base de métier et de qualification. Et puis à un moment, tu essayes les échasses, tu trouves ça chouette et ça donne plein de nouvelles idées. On était jongleur de feu, on faisait des déambulations, mais sans échasse. En effet, quand tu veux faire quelque chose qui déboite un petit peu, prendre un mètre de hauteur permet de faire des personnages un peu plus créatifs ». Aujourd’hui, Vaporium propose un seul spectacle de feu, en spectacle fixe, Portal. Pour cette jeune compagnie, chaque création doit prendre son temps pour atteindre le niveau d’exigence qu’ils recherchent collectivement. « Si on a aussi peu de spectacles en statique, c’est qu’on vise un grand spectacle qui nous a pris cinq ans à créer et à peaufiner. Dedans, on a du travailler le matériel, des chorégraphies qui sont très compliquées, de l’électronique, de l’automatisation. Pour nous, faire un spectacle en statique, c’est déjà énormément de travail. Pour le moment, on essaye de bien lancer la compagnie, et de valider nos intermittences du spectacle avant de se lancer vers de nouveaux horizons » raconte Luciole.
Tyo poursuit : « En termes d’investissement, le spectacle de feu nous a demandé beaucoup, en temps, en budget. On a voulu mettre la barre le plus haut possible, en fonction de nos capacités. On a essayé de relever des défis, on s’en est rajouté. Il y a des idées, des prototypes qui ont mis un an à être validés, parce qu’on a du recommencer, trouver d’autres solutions. On a des systèmes et des effets scéniques qu’on a vraiment développés et créés nous-mêmes. Ca y est, là, il est abouti, on a fait la première en décembre. On va essayer de l’amortir pendant deux ou trois ans en le faisant tourner. C’est une tonne de matériel à déplacer et charger à trois, cinq heures d’installation, Au début, on mettait sept heures à le monter, et au fur et à mesure, on a amélioré des techniques d’assemblage pour que ça se monte mieux ».
Pour les 35e Médiévales de Bayeux, les trois artistes ont voyagé plus léger. Les Dahutanes est une déambulation sur échasses, qui interpelle par la qualité de son visuel, par l’esthétique de ces costumes. C’est Jen qui est à l’origine de ce projet. Comme dans chacune de leurs créations, l’idée est toujours amenée par l’un des membres, mais ensuite, le travail est collectif. « Généralement, quelqu’un a un thème, on le lance et il reste plus ou moins maitre de la création, mais par contre, tout le monde donne son avis, met la main à la pâte. On ne reste pas fermé dans nos créations. On a des postes qui sont chacun assez bien cadrés : Tyo, c’est le gros usinage, manutention, moi, c’est tout ce qui est costume et design, et Luciole, tout ce qui est jongle, chorégraphie et diffusion » explique Jen.
Chacun de leur projet commence par une phase de documentation, qui inclut aussi d’aller voir ce qui a précédemment été fait par d’autres compagnies, pour ne pas reproduire un projet similaire. Jen nous raconte la genèse du projet : « Je voulais quelque chose de blanc, de mystique, de mystérieux et qui nous rapproche de la région où on est, l’Aveyron. C’est une région très pastorale, il y a une grande culture autour de la brebis. C’est quelque chose qui se retrouve dans énormément de régions, en France, en Europe, en Russie. Il y a une culture presque chamanique qui est liée à ça, que l’on trouve dans énormément de parties du monde ». Dans la phase de documentation qui s’en suit, les trois artistes ont eu la chance de découvrir le projet Wilder Mann de Clément Fréger. « En faisant des recherches en documentation, on est tombé sur le travail d’un photographe qui est parti des Pyrénées jusqu’aux confins de l’Altaï, qui a traversé tous les folklores. Il a passé trois ans à faire toutes les montagnes, pour aller photographier tous ces costumes traditionnels. Les plus connus, ce sont les krampus, en Bavière, des grandes bêtes cornues. Ce sont ceux que l’on connait, parce qu’ils sont un peu plus mainstream, mais au fin fond des Pyrénées, ou dans des arrières vallées de haute montagne, il y a des costumes vraiment différents. C’est de la tradition païenne, et qui remonte très loin dans le temps. Quand on est tombé sur cette série d’une quarantaine de photos, on a trouvé les costumes hallucinants » développe Tyo. Pourtant, la compagnie insiste : à aucun moment leur travail ne consiste à transposer réellement un costume déjà existant. Pour chacun de leur projet, ces sources leur servent de base de travail, à partir de laquelle ils recréent, en adaptant, en s’inspirant, pour dessiner une idée propre à leur création originale. Les croquis se sont alors enchainés. Jen le précise : « Quand tu crées un projet comme ça, tu as une idée de base, et après, elle évolue, puis ça donne ce que c’est maintenant ». Elle insiste aussi sur le fait que les échasses apportent quelque chose de différent, dans son travail de costumière. « Ça me permet d’avoir plus de marge de manœuvre, de créer des personnages impressionnants sans forcément chercher à l’être. La hauteur donne aussi le caractère impressionnant. Le fait d’être sur échasse donne une ampleur en plus ».
Au final, il aura fallu deux ans pour que cette création voit le jour, de la première idée jusqu’à sa présentation au public. Jen reconnaît avoir travaillé sans relâche sur ce projet, dont elle est particulièrement fière. Dans la rue, et ce, dès le vendredi soir lors du défilé, le public s’est emballé pour leurs créatures mystérieuses. Chacun des personnages a ses singularités. Les artistes jouent aussi sur les hauteurs d’échasses, les costumes diffèrent légèrement. L’un d’eux arbore un cercle au-dessus de la tête où tintinnabulent des clochettes lors de leurs déplacements. Quand ils déambulent, ils interpellent, suscitent les regards tantôt curieux, tant émerveillés. Là où les compagnies d’échassiers restent souvent dans des déambulations purement visuelles, les trois artistes insistent sur le caractère primordial qu’ils accordent aux interactions avec le public. « L’interaction avec le public, c’est vraiment notre engagement « qualité Vaporium ». On a fait des cours de théâtre d’improvisation, pour que quand il nous voit dans la rue, le public reparte en se disant qu’il a eu un moment d’interaction privilégié avec nous. On met vraiment l’accent là-dessus » explique Tyo. « Chacune de nos déambulations a des costumes qui plaisent facilement au public, elles sont agréables à voir, mais chaque déambulation a un thème. Dans Les Lutins, on cherche à acheter les enfants à leurs parents pour les manger, avec les Chats, c’est d’aller piquer des frites à grand coup de griffes en métal rouillé. Avec les Dahutanes, on est là pour bénir le public à l’occasion du changement de saison. Chaque déambulation a un thème et une participation avec le public. Parfois, c’est juste un clin d’œil, parfois on s’approche et on joue avec eux quelques secondes, et parfois, c’est carrément une saynète de quelques minutes qui va créer un attroupement » raconte Luciole. Et c’est justement tout le caractère improvisé qui plait à ces jeunes artistes. Si chaque déambulation a une trame écrite, à la base, c’est en rue qu’ils laissent libre court à leur envie. « Tu ne joues pas de la même façon quand tu as deux petites filles de huit ans devant toi, ou deux grands vikings barbus. Tu ne peux pas te permettre les mêmes choses. Cette liberté-là nous permet vraiment d’améliorer nos personnages de sortie en sortie. Comme à chaque fois, le public est différent, et que tu vas forcer l’interaction, tu expérimentes des choses » précise Tyo.
Ce que le public ignore, c’est que cette version présentée à Bayeux pour les Médiévales est une légère adaptation de la création originale, présentée au Salon Fous d’Histoire de Compiègne, en novembre dernier. « On s’est dit qu’il nous fallait une déambulation blanche, et surtout quelque chose pour les fêtes de fin d’année. On tournait très bien l’été, mais moins l’hiver. On ne voulait pas faire les lutins du Père Noël. On s’est dit que faire une déambulation, un peu païenne, un peu mystique, autour du solstice d’hiver, c’était une bonne idée. On l’a créée pour l’hiver, avec des gros ponchos en laine, des cols bien chauds. On l’a sorti le premier hiver, des organisateurs ont vu les photos et nous ont appelés en nous disant qu’ils faisaient des fêtes médiévales au mois de juillet et qu’ils aimeraient nous avoir. Et là, on s’est dit ‘’Urgence ! Il va falloir faire une version été !’’ » raconte Tyo. S’en est alors suivi une demi-année supplémentaire de création pour Jen, pour réadapter ces costumes dans une version qui soit confortable pour eux, et qui corresponde avec la période estivale. Ce n’est donc pas un hasard si, lors de Fous d’Histoire, le travail de la compagnie, et plus particulièrement de Jen, a été salué et primé par le jury, à travers le « Gros coup de cœur » dans la catégorie « Costumes traditionnels et festifs ». « Les costumes venaient juste d’être finis. J’avais passé deux ans à travailler comme une dingue là-dessus. Je crois que je me souviendrais très longtemps de ce moment-là » raconte Jen sans cacher l’émotion ressentie lors de cette remise de prix. Tyo conclut : « On est une toute jeune compagnie, on a vraiment lancé la machine juste avant le confinement, alors commencer la reprise avec un tremplin comme ça, c’est énorme. On n’a toujours pas le statut d’intermittent, on n’a pas eu l’année blanche, donc on avait vraiment l’impératif de réussir à faire nos dates. Alors le coup de projecteur à Compiègne, et le bouche à oreilles qui s’est fait nous a rendus vraiment très content ! On a vite rempli le calendrier, et si tout va bien, fin août, on sera intermittent ». Et c’est peut-être là la meilleure reconnaissance du travail fourni par ces trois artistes touche-à-tout, qui multiplient les savoir-faire en interne, de l’imagination aux costumes, des matériaux créés à la diffusion des spectacles, jusqu’à faire vivre leurs spectacles dans la rue ! Si la route commence tout juste pour Vaporium, nul doute qu’elle promet d’être longue et peuplée de maintes et maintes créatures, déjà créées et encore à venir… !
Toutes les informations sur la compagnie sont à retrouver ici !