Avec Trybu, Les Monts Rieurs font voyager les Médiévales de Bayeux !

Pour cette 35e édition, Les Médiévales de Bayeux accueillaient la compagnie Les Monts Rieurs, bien habitués de l’événement, pour y avoir été programmés à de nombreuses reprises. Cette année, c’est avec son projet musical, Trybu, que la compagnie faisait escale dans la cité normande. À cette occasion, nous avons rencontré Florinda, Cyrille et Philippe, pour un petit tour d’horizon des Monts Rieurs, de l’origine de la compagnie jusqu’à Trybu !

Dans le réseau des fêtes médiévales, Les Monts Rieurs ne sont plus à présenter. Ils font partie des références incontournables du milieu. Rien qu’à Bayeux, le public a déjà eu l’opportunité de les voir en 2018 avec la déambulation Celva Tereï et en 2019, avec leur trio de sorcières, Hysteria Malefika. Il faut dire que cette compagnie existe depuis 1996, et peu de compagnies peuvent aujourd’hui se targuer d’une telle longévité ! Florinda nous raconte la genèse du projet : « On a tenu une maison des jeunes pendant dix-sept ans, et dans celle-ci, on a créé une compagnie de spectacles, avec les jeunes, avec des intermittents du spectacle. Cela a tourné pendant dix-sept ans. En 2013, on a fermé la maison des jeunes, pour se consacrer uniquement aux spectacles. Certains spectacles datent de 1997, ce qui est le cas des Vilains de Pigouli, le premier spectacle de la compagnie. Les Tanarucks ont été créés en 2000. Tout le reste, ce sont des nouveautés des dix dernières années. À ce jour, on a neuf spectacles différents, spectacle de rue, spectacle théâtral jeune public, spectacle théâtral en LSF avec le Théâtre de l’Alauda ».

Au cours du périple, il y a huit ans, Les Monts Rieurs rencontre Cyrille, avec l’idée et l’envie de créer un concert sur scène. C’est de cette rencontre qu’est né Trybu, le projet musical de la compagnie, dont la particularité est d’être polymorphe.  Florinda poursuit : « On a attaqué par la rue, d’abord, tout en faisant un travail en parallèle sur scène. On a été épaulé par Tandem, une grosse scène de musiques actuelles du département du Var. Ils nous ont permis de lancer le concert Trybu sur scène. On a eu une aide de la DRAC l’an dernier pour faire une résidence. Aujourd’hui, on en est là, à cheval entre la rue, le concert en fêtes médiévales, et ce concert, on aimerait le développer hors fêtes médiévales, en musiques du monde, musiques actuelles… ».

Sur un même week-end, le public a été amené à les découvrir en fixe dans la rue, en déambulation, mais également sur scène, pour le grand concert du samedi soir, sur le parvis de l’Hôtel de Ville. Si ces différentes facettes du projet constituent Trybu, le répertoire n’est pas tout à fait le même. « On a fait attention à ne pas retrouver exactement le même répertoire, en rue et sur scène. Il y a deux ou trois titres communs, mais ce qu’on a sur scène, on ne l’a pas en rue » commence Florinda. Si le répertoire de Trybu et les A-Cordés, la version sur scène, émane majoritairement de Cyrille, celui de Trybu dans la rue a été constitué par ce dernier et Virginie. « Virginie était déjà là depuis très longtemps dans la compagnie, au niveau de la composition. Quand je suis arrivé, je suis venu avec mes univers, venant plutôt du monde de la Bretagne. On a composé ce nouveau répertoire, avec les influences de chaque musicien. Les instruments et les musiciens amènent aussi leurs propres origines et leurs propres cultures. On se retrouve avec des instruments à cordes qui viennent du Maghreb, Philippe à la batterie vient vraiment du rock, les cornemuses, le saxophone. C’est tout ça qui fait voyager » raconte Cyrille. Florinda précise ensuite qu’en vrai collectif, quand une composition est proposée, chacun est libre d’apporter sa pierre à l’édifice.

Le samedi soir, sur la scène de l’Hôtel de Ville, Trybu et les A-Cordés ont déployé toute leur folle énergie collective pour un concert qui a transporté le public. Après les avoir croisés en déambulation au fil des rues, les versions « rue » et « scène » du projet marquent leurs singularités. Sur scène, les instruments diffèrent : l’apport d’une basse électrifie le son, la batterie lui confère des influences plus rock. Des chants, même s’ils ne sont pas encore aussi développés qu’ils le souhaiteraient, viennent également agrémenter le répertoire. Pourtant, si les morceaux et les instruments varient, si chaque version du projet a ses spécificités, des lignes directrices, tel un fil invisible, les relient profondément. « Pour moi, il y a un vrai lien commun entre la rue et la scène, c’est que d’une part, c’est la même équipe qui s’étoffe, et d’autre part, il y a un lien d’énergie positive, de complicité. La magie qu’on vit, nous, en travaillant ensemble, je crois qu’elle transpire et qu’elle se sent aussi pour les gens, que ce soit dans la rue ou sur la scène » explique Cyrille, plein d’enthousiasme, avant que Florinda souligne : « Ce n’est pas pour rien qu’on s’appelle Trybu ! ».

À les voir jouer ensemble, dans la rue, mais peut-être plus encore sur scène, on ne peut qu’abonder dans ce sens. Cette Trybu-là se connait, se sait, se devine. Le samedi soir, les six artistes semblaient jouer autant pour le public que pour eux-mêmes, pour le plaisir d’être ensemble, de faire et de créer ensemble. Quelque chose de contagieux émanait de leur musique, et de leur manière de la jouer. « Je crois que c’est assez rare et assez précieux tout ça. Cela ne fait que huit ans que je suis entré chez Les Monts Rieurs, et depuis huit ans, c’est ça qui est assez fou dans ce projet, il y a une vraie alchimie évidente. On a aussi cherché à créer l’équipe qui permettra de vivre le long terme, en s’entendant bien tous ensemble, en ayant envie d’avancer, en ayant envie d’être au moment même sur scène. C’est vraiment magique » précise Cyrille.

Si Les Monts Rieurs font aujourd’hui graviter vingt-trois artistes sur leur planète, Trybu consiste véritablement le noyau dur musical de la compagnie. « On retrouve ce même noyau sur Les Vilains de Pigouli, on le retrouvait jusqu’à maintenant sur Les Tanarucks, mais on vient juste de changer l’équipe musicale justement. Virginie, Philippe et moi, cela fait vingt ans qu’on joue ensemble. Cela crée forcément du lien. Laure, la violoniste, et Virginie jouent ensemble depuis une dizaine d’années sur d’autres projets. Julien, c’est notre voisin, cela fait une vingtaine d’années qu’on se croise. Yann, c’est le petit nouveau finalement, cela ne fait que quatre ans qu’on travaille avec lui. Il est aussi sur d’autres spectacles de la compagnie, en théâtre jeune public notamment, et en échasses avec Celva Tereï » explique Florinda.

Chez Les Monts Rieurs, le processus de création est toujours très collectif. « Le moteur, ce qui nous relie entre nous, c’est l’humain. En étant reliés, on accepte en général les initiatives de chacun, et on essaye d’aller au bout, de les porter ensemble. Cela n’empêche pas, et c’est même nécessaire, d’avoir une gestion théorique et pratique de la mise en projet, d’avoir une direction artistique, mais initialement, cela part de cette volonté de faire ensemble et d’être ensemble pour avancer. Quand chacun est dans ce qui relie, on attache les autres avec nous ! » raconte Philippe. « On part du principe qu’il y a plein de compétences et de personnalités complémentaires au sein de la compagnie, et chacun peut exploiter pleinement ses compétences et ses envies. Tout le monde ne fait pas les costumes, tout le monde ne fait pas les maquillages, tout le monde ne fait pas de la musique. Chacun exploite ce qu’il a envie d’être et de donner au public » poursuit Florinda.

De ce fait, la compagnie conjugue au pluriel tous les savoir-faire, chacun ayant ses aptitudes propres. « Tout est fait par nous, sur toutes les créations. On est vraiment producteurs-créateurs de tous nos spectacles, en auto-production totale. Très souvent, je dessine des silhouettes. C’était le cas de Trybu par exemple. Je savais où je voulais aller, mais je me suis adressée à une costumière, Élisa Pinel. On a travaillé toutes les deux sur le visuel de Trybu » explique Florinda. Dans la rue ou sur scène, les artistes de Trybu arborent des costumes d’un même bleu, chaque artiste ayant pourtant des variantes sur son propre costume. « On est vraiment parti des peuples nomades, même dans les symboles qu’on a sur le visage. On est parti sur des symboles berbères qui ont une véritable signification : la protection, l’harmonie… » commence Florinda. Pour obtenir ce bleu qui les relie visuellement, ils ont fait appel à une artisane, au savoir-faire singulier. « C’est une teinture naturelle, végétale. C’est du bleu pastel d’Occitanie. A priori, elle est l’une des seules à faire encore ça à l’ancienne, de manière traditionnelle. On ne voulait pas acheter du tissu bleu. Cela a été un gros travail en amont ».

Une fois l’interview finie, Philippe confiera qu’il présente souvent son travail comme celui d’un « artisan du spectacle vivant ». Et dans le monde de ces artistes-artisans, aux multiples savoir-faire, les choses sont toujours en mouvement. Quand on leur demande combien de temps est nécessaire, en général, pour créer un spectacle chez Les Monts Rieurs, Philippe répond : « Je ne suis pas sur que ce genre de projet, d’activités, dans la culture, dans ce qui nourrit, s’arrête vraiment. On apprend au fur et à mesure en faisant que ça, ce n’est pas bien, que ça, ça marche moins bien… Tout ce chemin-là, c’est ça qui fait que le projet est intéressant et qu’il nous porte, nous. Quand tu fabriques un yaourt, tu l’as fait, tu l’as vendu, et c’est terminé. On n’est pas du tout dans cette démarche-là. Il n’y a rien de commercial, dans le sens « vente de marchandises finies et abouties ». On est plutôt dans un chemin qu’on partage avec le plus de monde possible ». On comprend sans peine que dans cette compagnie, les spectacles sont en constante évolution, ne connaissaient jamais de formes réellement définitives. Chez eux, le terme de « spectacle vivant » est une évidence, une manière de faire et d’envisager leur univers.

Tout au long du week-end, Trybu s’est illustrée par sa belle énergie, par la générosité avec laquelle les six musiciens ont distillé leurs sonorités voyageuses auprès du public. Le public s’arrêtait face à leur déambulation, pour attraper leur son. Le samedi soir, si seules quelques personnes se mises à danser devant la scène pendant le concert, le public a pourtant terminé debout, pour le rappel, jusqu’à finir en dansant un An Dro où les cercles se multipliaient sur tout le parvis. Depuis quand n’avions-nous pas vu une telle effusion sur cette place ? Les applaudissements ont été nourris, et le public ne semblait pas vouloir quitter le parvis, à l’issue de ce moment de partage musical, profondément collectif. Le dimanche, pour clôturer la fête, c’est à eux que revenait la dernière déambulation. Et même à l’issue d’un week-end aussi dense, les artistes ont joué avec la liberté propre aux derniers tours de pistes… !

Fidèle à leur philosophie, les artistes de Trybu ne comptent pas en rester là. Comme nous le disait Florinda dès le début de cette rencontre, l’objectif est de réussir à faire exister Trybu et les A-Cordés ailleurs que sur des scènes de fêtes médiévales. En les voyant sur scène, cela semble une évidence, tant leurs mélodies voyageuses et métissées tendent vers les musiques du monde ou les musiques actuelles. Pourtant, les frontières qui existent entre les mondes artistiques rend parfois la tâche plus ardue. « Je me suis rendu compte qu’il y avait un fossé, assez étonnant pour les artistes : c’est très dur, apparemment, pour les artistes du réseau médiéval de sortir de ce réseau-là, pour aller dans l’autre programmation, plus large, dans des lieux ou événements subventionnés » raconte Cyrille. « L’estampille « médiévale » n’est pas très positive dans le milieu culturel » ajoute Florinda, confirmant ce que tant de compagnies soulignent également. Qu’à cela ne tienne, pour ce noyau dur de musiciens passionnés, les plafonds de verre n’auront jamais lieu d’être, et ils n’auront de cesse de les briser. « Je crois vraiment que notre avenir est là, au sein de Trybu rue et Trybu et les A-Cordés version scène, c’est que les barrières, on va les faire casser. Trybu, sur scène, dans le cadre de la fête médiévale, on assume complètement le fait que ce soit Trybu rue qui s’étoffe et qui vient sur scène. Mais on assumera très bien, dans une programmation de n’importe quelle autre scène, hors du réseau médiéval, en tant qu’artistes, d’être un groupe à part entière, sans les costumes ». Face à tant de détermination de la part de cette équipe, on ne peut qu’espérer les retrouver un jour, sans ces costumes bleus, dans un festival de musiques du monde, où leur musique saura, sans nul doute, toucher un autre public et prouver qu’en musique, comme ailleurs, les frontières méritent toujours d’être franchies.

 

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