Il est un peu plus de vingt heures quand le noir se fait dans la salle de L’Olympia. Sur scène arrive Blond, artiste à la voix androgyne, choisi par Barbara Pravi pour faire la première partie de son concert. Au fil de quelques titres, le chanteur et musicien distille des rythmes entrainants, soutenus par sa voix haut perchée. Après quelques morceaux, Blond et sa générosité palpable ont conquis le public.
Le temps d’un changement plateau, et les musiciens entrent en scène. Un pianiste, un contrebassiste parfois bassiste, un trio de violoncellistes. C’est derrière un drap blanc que Barbara Pravi, dont le nom s’est écrit en lettres capitales rouges sur le fronton de L’Olympia, fait son entrée en scène, le temps d’une Prière au printemps. Dès les premières notes, dès les premiers mots, on devine que l’intensité de ce concert sera différente de celui vu à Saint-Lô en Normandie, il y a un peu plus d’un an, où l’artiste se produisait avec deux musiciens. Les violoncelles tendent l’air, agrippent l’instant. La voix de Barbara Pravi s’empare de tout l’espace. C’est un début, qui a déjà tout d’un climax. L’émotion saisissante de ce titre prend à la gorge, s’immisce en nous. Le ton est donné : ce soir, nos cordes sensibles vibreront sous les pas de la grande artiste qui occupe la scène, comme elle habiterait son salon, avec autant de spontanéité, de panache que de naturel. C’est un spectacle, oui, mais de ceux offerts corps et âme, où chaque cellule semble s’élancer pleinement dans la mêlée. À dire vrai, il a à peine commencé que l’on sait déjà que nous n’en sortirons pas indemnes. Mais peut-être est-ce précisément ce que nous sommes tous venus chercher ?
Tout au long du concert, Barbara Pravi alterne entre les titres de son premier album, On n’enferme pas les oiseaux et ses Prières, sorties sur vinyle en plusieurs opus. Ainsi, elle interprète Barcelone, en racontant l’histoire de cette chanson et en invitant le public à se mettre à sa place pour en comprendre l’origine, avec autant d’humour que de désinvolture. Plus tard, elle chante Je l’aime, je l’aime, je l’aime en faisant de l’espace scénique le lieu de toutes ces circonvolutions, comme une toupie qui ne cesserait plus de tourner sur elle-même. Sur La Fête, L’Olympia se transforme en tempête, par l’action du public qui simule la pluie tombant en averse. Barbara Pravi fait s’enchainer, comme une évidence, Mes Maladroits et La Femme, s’adressant aux hommes dans la première, dans laquelle elle questionne la masculinité toxique ayant habité les consciences pendant trop longtemps. Dans la seconde, c’est sur la définition même de la femme qu’elle interroge, haranguant la foule pour demander « qui a décidé ce qu’est la femme ? ». Le public réagit, l’accompagne, et nous fait mesurer combien Barbara Pravi est une artiste ancrée dans son époque, choisissant de mettre sous la lumière des projecteurs des thématiques fortes, dont elle se saisit à bras le corps, sans rien perdre de la poésie qu’elle dissémine dans son art.
Barbara Pravi aime la langue, les mots et leurs sens profonds. On devine son plaisir à les faire se rencontrer, se confronter. Sur Chair, l’artiste fait un nouveau tour de force, puissant et formidablement bouleversant. Écrite à l’occasion d’un 8 mars, journée internationale des droits des femmes, celle-ci parle d’avortement, d’insultes reçues pour avoir exercé le droit à disposer de son propre corps. Barbara Pravi l’introduit en racontant qu’elle l’a chanté dans toutes les scènes d’Europe où elle est passée, y compris en Pologne, où ce droit n’existe pas. S’en suit une chanson poignante, qui, au-delà de la question de l’avortement, soulève une foule de réflexions sur la place du corps des femmes, ce corps instrumentalisé, blessé, qui pourtant finira un jour en « chair chérie, chair guérie ». C’est édifiant et singulier de voir des mots si puissants et terriblement actuels fendre l’air au milieu de cet Olympia silencieux.
En exclusivité, pour ce concert, Barbara Pravi et ses musiciens ont joué deux nouvelles Prières, figurant sur le prochain opus. En invitant Fredrika Stahl, l’artiste chante sa Prière à l’horizon. Plus tard, ce sera la Prière pour l’espoir, interprétée ici en solo, mais normalement chantée en duo, avec Victor Solf. Dernière en date, Prière pour soi fait monter sur scène « la guerrière » de Barbara Pravi, celle qu’elle convoque les soirs de spleen, celle qui fait rentrer la lumière dans les jours sombres. Une nouvelle fois, dans ce texte, l’artiste tire le fil de cette humanité profonde, où l’univers ne nous épargne pas les coups, mais où le soleil parvient toujours à fendre les ciels les plus chargés. Dans l’ensemble de ces Prières, des ondes positives se dessinent entre les lignes, marque de fabrique de la jeune artiste, qui semble ne jamais vouloir baisser les bras.
En témoigne le titre 365, un « tour de soleil », qui résume l’année folle qu’elle a vécu, avec un Eurovision, une Victoire de la musique de la révélation féminine, pour finir sur un Olympia. Si l’artiste y raconte tout ce à quoi elle a dû faire face, elle laisse filtrer au gré des mots l’indéfectible intégrité qu’elle offre à sa musique, respectant son art, et faisant de sa dignité de femme et d’artiste un étendard qu’elle arbore fièrement. Et c’est peut-être là le trait le plus frappant dans la manière dont Barbara Pravi interprète et vit sa musique sur scène : elle y est toute entière, dans chaque note, chaque geste, chaque intention. Faisant écho à des figures musicales bien connues, elle est de ces artistes qui incarnent leur musique, viscéralement. Son interprétation de Voilà, chanson de l’Eurovision, n’en est qu’un nouvel exemple, lorsqu’elle termine le concert par celle que tout le public attendait, et qui, comme elle le souligne, nous a tous réunis dans cet Olympia.
Pour le rappel, Prière au soleil vient illuminer la scène de ses ondes radieuses, alors que Barbara Pravi s’empare du piano. Ensuite, la jeune artiste interprète Deda, chanson sur son grand-père qui, pour l’occasion, lui fait la surprise de monter sur scène. L’artiste s’en arrête de chanter, leur complicité émeut la salle, et le fameux « Deda » finit par prendre la parole pour exprimer, avec émotion, tout le bien et la fierté que sa petite-fille lui inspire. Enfin, c’est Prière pour chanter qui met un point final à ce concert poignant, en réveillant « les anges et la douceur ».
En montant pour la première fois sur la scène de L’Olympia, Barbara Pravi fêtait également la centième date de sa tournée. À la revoir sur scène, presque un an après, on mesure le chemin parcouru par l’artiste, dans son parcours scénique. Sa présence s’est encore étoffée, en même temps que son équipe de musiciens, incroyablement brillants. Tout au long du concert, la musicalité de chacun des morceaux emplissait l’air. La puissance du piano, très dense, répondait au vertigineux trio de violoncelles, dont les cordes semblaient accentuer la texture de chaque morceau. De bassiste à contrebassiste, le dernier musicien électrisait encore un peu plus l’ensemble musical. Au milieu de cette équipe, un profond respect et une entente singulière se devinent. L’artiste saluera régulièrement, tout au long du concert, l’implication et le talent de ces compagnons de route et de scène.
Quant à elle, Barbara Pravi confirme sa singularité. La jeune femme a des choses à raconter, et elle s’est créé la place nécessaire pour pouvoir les raconter. Parfois, ses mots sont tendres, parfois, puissants, poétiques, percutants. Chaque morceau est sensible. En live, son univers prend une envergure plus grande encore. Elle occupe la scène, en flottant d’un bout à l’autre, toujours en mouvement, presque liquide. Sa voix est voluptueuse, pleine, tout en musicalité. Plus encore, son incarnation de chaque texte, chaque mot, fait de cette artiste un être incroyablement talentueux. Rares sont les interprètes qui savent donner à ce point, sans limite, sans retenue. Le talent de Barbara Pravi s’écoule comme un torrent qui refuse de rester dans son lit. Elle nous désempare, nous désarme, vient convoquer chez nous les émotions les plus vives, au contact de ces histoires qu’elle nous partage. Et son public ne s’y trompe pas, en témoigne l’ovation qu’elle a reçue, l’empêchant presque de poursuivre le morceau suivant. Barbara Pravi, sur scène, est une quête d’art vrai, pur, qui se vit, s’offre, et se reçoit sans limite. Cet Olympia, de la scène à la salle, s’en souviendra sans nul doute pendant très longtemps…